Dans un trou d'obus, survivait un hobbit

Le biopic est un genre risqué. On sait comment il s'achève la plupart du temps : par la mort du protagoniste (sinon montrée, du moins évoquée en fin de film lors d'un de ces insupportables panneaux affichés avant le générique de fin). Ce qui ne manque généralement pas de plomber le film.


Ce film-ci échappe un peu à ce vilain travers en se concentrant sur l'adolescence et le début de la vie adulte de John Ronald Reuel Tolkien, linguiste, philologue et accessoirement, auteur du Seigneur des anneaux. Ce choix judicieux (que l'on retrouve dans Lawrence d'Arabie par exemple) permet d'avoir un film relativement court (pas plus de deux heures) et efficace, sans s'attarder sur la mort du protagoniste après quatre heures de visionnage. Sans être le meilleur choix possible, c'était un bon choix (même si l'on peut regretter que la période choisie fut celle-ci et non celle des Inklings, qui eut été passionnante à voir).


Un autre bon choix consiste dans l'importance donnée à l'imaginaire dans la vie du jeune écrivain britannique. Nous le voyons jouer aux chevaliers dans son jardin, vibrer aux contes qui lui sont racontés par sa mère, imaginer un dragon sur un champ de bataille... une manière pour lui d'échapper au monde en ce qu'il a de pénible ou d'insupportable (et pour nous d'avoir droit à quelques images d'une grande puissance visuelle) et de tirer inspiration de tout ce qui l'entoure (il est d'ailleurs heureux que le réalisateur ait choisi de ne pas s'appuyer sur l'imagerie issue de la saga de Peter Jackson).
Et pour autant, le film ne joue pas la carte du "rêveur incompris". A cet égard, le portrait du quatuor formé par Tolkien et ses amis est assez plaisant, et probablement l'un des meilleurs aspects du film. En les voyant déblatérer de tout et de rien, comme de jeunes adolescents ou de jeunes adultes passionnés par un même sujet, on a envie de les rejoindre. Le portrait est très bien brossé, tout comme celui de la relation (très bien amenée) entre Tolkien et Edith Bratt.


Un point noir cependant : il est dommage de n'avoir évoqué qu'en surface la foi catholique de Tolkien, pourtant centrale pour qui voudrait analyser son oeuvre. Non qu'il eut fallu ajouter des scènes avec l'abbé Morgan (excellent Colm Meaney), dont quelques phrases sont étonnamment justes ("Je reçois des veuves, des mères qui ont perdu un fils; je ne sais pas quoi leur dire. Alors je dis la liturgie") ; mais le film passe un peu par pertes et profits cet aspect, pourtant essentiel, de la vie de Tolkien.


On passe tout de même un excellent moment, dont l'on ressort la tête pleine d'idées, de rêves, de contes, de féeries, avec, parfois, l'idée de se mettre soi-même à écrire. Car comme le fait remarquer Tolkien à son professeur, Joseph Wright (impeccable Derek Jacobi), une langue ne se contente pas de faire passer des significations, elle contient la culture de tout un peuple. Une leçon que l'auteur (ou le lecteur) du Seigneur des Anneaux n'est pas prêt d'oublier.

CréatureOnirique
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le 20 avr. 2020

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