Pour son quatrième long-métrage, prix de la critique à la dernière Mostra de Venise, Xavier Dolan change de recette. Exit le scénario original et la bande d'acteurs habitués, le revoilà devant et derrière la caméra pour l'adaptation d'une pièce de théâtre dont le sujet recoupe assez bien ses thématiques habituelles. Sur le papier, ça faisait plutôt envie, mais force est de constater que le film est un échec artistique - ou du moins qu'il peine beaucoup à convaincre.

Il n'y pourtant presque rien à redire sur les qualités de metteur en scène, monteur, monteur son, costumier et tutti quanti du petit prodige montréalais. Tout est soigneusement cadré, filmé à l'épaule ou au steady cam, le photo grise et terne est fort jolie, etc. Le gros bémol serait la systématisation de l'écrasement du cadre dans les séquences "choc" pour signifier l'étouffement du personnage. Ça passe les deux premières fois et puis ça lasse. Par ailleurs, le cinéaste turbulent a laissé tomber pour cette fois ses afféteries baroques et colorées tant décriées (et que j'aimais tant). Point de vêtements qui volent, point de ralentis sur-stylisés ou presque, point de filtre. Même la musique additionnelle est en berne : quelques chansons francophones assez atroces et du Rufus Wainwright pour le générique de fin. La bande originale est quant à elle superbe, mais souffre d'une utilisation mal dosée et intempestive, ainsi que des directives trop "hitchcockiennes" assez embarrassantes.

Car "Tom à la ferme" est un thriller. Presque un thriller sexuel d'ailleurs, du moins j'aurais aimé qu'il le fût davantage. Tout rappelle le grand maître du suspense et plus particulièrement des films comme "la Mort aux trousses", "Rebecca", "Soupçons" et bien sûr "Psychose". Hélas, on est constamment en dessous de ces modèles prestigieux. Le film ne se contente pas de jouer des clichés du genre, il les plaque froidement et consciencieusement à son intrigue, au mépris de toute crédibilité ou cohérence. L'effet résultant est alors celui d'une succession de saynètes plus ou moins attendues (et le film n'est jamais meilleur que quand il surprend) et plus ou moins réussies, mais dont l'enchaînement ne fonctionne pas. Cruel paradoxe que celui d'un film dont les passages obligés parviennent comme déplacés ou hors de propos. Les personnages, Tom en tête, ont un comportement parfaitement illogique que le film ne parvient jamais à justifier. Les intentions scénaristiques du cinéaste sont toujours évidentes, mais jamais actualisées. Preuve en est l'étrange séquence où Tom, confronté à Sarah, lui explique qu'il doit rester ici parce que son hôte à besoin de lui et qu'il doit nourrir les vaches. On devine évidemment qu'il y a une histoire de transfert, de désir obscur, de fascination, de syndrome de Stockholm, mais cette relation n'est pas élaborée avec subtilité, elle nous est balancée comme un fait. En somme c'est au spectateur de recoller les morceaux et de faire le liant de toutes ses intentions par ailleurs assez prévisibles puisqu'on reste dans le film de genre ultra référencé. Tout à la fois un défaut d'écriture et un côté sur-écrit, c'est dire.

Cependant, certaines scènes sont à sauver : l'improbable tango et sa chute, un moment de strangulation érotique fascinant, une fuite dans les épis ou le morceau de bravoure d'Agathe, personnage le plus convaincant et le mieux écrit du film. Les autres ne sont pas gâtés : si tous sont bien campés par les interprètes respectifs, Pierre-Yves Cardinal en tête, leurs motivations ne sont pas toujours des plus crédibles, loin s'en faut. Le pire étant Sarah, qui change d'avis comme de chemise sans que cela ne semble gêner le cinéaste le moins du monde. Il aurait fallu accentuer la dimension homo-érotique latente du film, placer l'accent sur la relation vénéneuse entre l'amant paumé et le frère violent mais probablement refoulé, aller plus loin dans le sadomasochisme de la relation. Le film culmine dans deux scènes explicites de ce point de vue : le tango bien sûr, puis la strangulation. D'autres scènes auraient mérité plus d'approfondissement de cette relation : dans les toilettes, dans le lit la nuit, dans le champ de blé. Car ébauchée telle qu'elle l'est, on ne comprend jamais pourquoi Tom s'obstine à ce point, ni pourquoi juste après avoir eu le récit du passé trouble de Francis, il finit par prendre la fuite. C'est comme si, à force d'avoir voulu rester original en amenant des clichés mais pas les chutes qu'ils auraient du entraîner, Dolan se prenait les pieds dans le tapis et s'enfermait dans un geste prétentieux et finalement assez vain. Résultat : on reste totalement étranger au propos (d'autant que Tom est un personnage plutôt antipathique) et on s'ennuie ferme.

Mais finalement, le problème réside peut-être dans la notion d'adaptation. On sait Dolan excellent sur des scénarii originaux, mais pour ce film où le matériau d'origine est théâtral et donc pensé pour la scène, il tombe dans un défaut fréquent de l'adaptation : vouloir rendre cinématographique ce qui a été écrit pour être incarné sur les planches. Ici, cela donne un focus sur les décors et les paysages, d'ailleurs très joliment filmés, mais on rate un peu l'inscription des corps dans ces espaces, et surtout on souffre d'un défaut d'incarnation : le texte ne vit jamais vraiment, et en privilégiant la mise en scène, et via le montage un empilement de scènes attendues, le film fait ressortir la faiblesse de la transposition d'une pièce qui doit être autrement plus intéressante sur scène. Si le personnage d'Agathe en sort indemne, les autres paraissent tous affadis. On sent l'oppression et le malaise, mais jamais le trouble ou le désir. Pire encore, l'oppression est presque toujours transmise par des artifices trop voyants : musique envahissante (flagrant dans l'ouverture du film) et cadre qui se resserre (systématique sur la fin).

On reste sur une tentative certes louable mais plutôt manquée, parasitée par des références encore trop haut perchées (n'est pas De Palma qui veut, à propos d'Hitchcock), et qui montre que, malgré tout son talent, Dolan est un cinéaste encore jeune pour lequel le film de genre ou l'adaptation théâtrale sont des exercices risqués, à l'image de cette fin bâclée et paresseuse qui trahit un manque cruel d'inspiration.

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le 22 avr. 2014

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Krokodebil

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