Non mais quelle justesse !
La petite Laure ( Zoé Héran) crève l'écran et fascine tant par sa photogénie que par ses possibilités de projeter à l'écran un personnage criant d'authenticité autant dans ses silences, ses regards, sa gestuelle, ses mots, son ombre presque, mais aussi et surtout pour produire cette même ombre : sa lumière. Un enfant lumineux, fascinant, troublant.


Bien sûr, réalisatrice et équipe technique sont là pour permettre que le film aboutisse, orchestrant ces sujets, ces enfants, les dirigeant par la liberté de jeu qu'on leur donne, les prises justes, les mots qui influencent, les bonnes décisions, l'atmosphère, le casting inspiré, la pédagogie, etc. C'est forcément tout un monde d'adulte derrière tout ce qui apparait là.
Mais arriver à filmer ces scènes d'enfance en les rendant aussi justes, sans que l'on puisse tiquer sur des fausses notes au niveau du jeu, à ce point tout du moins, c'est aussi rare que stupéfiant.


Nous avons ici la petite Laure, pré-adolescente, et comme tout enfant, prompte à saisir toute occasion de jouer. Or un été, le jeu possible devient celui d'un personnage que l'on n'est pas.
Jouer au garçon alors que l'on est née fille.
Jouer à Mickaël, personnage imaginaire si ce n'est soi en garçon quand on s'appelle Laure en réalité.
Mickaël, c'est celui qui joue au foot, se bagarre, défend sa petite sœur, peut jouer au caïd dans un quartier et se forger une réputation de dur qui se fait respecter ; c'est le gamin effronté qui marche torse nu, ne croise pas les jambes, ne se maquillera pas, ne fait pas de manière et avec qui, finalement, on se sent bien.


Et là, nous entrons dans le monde de Tomboy, le garçon manqué, reflet possible de moments happés au spectateur lui-même, quand son identité pouvait à ses jeunes âges flirter avec l’ambiguïté, quand on vous prend pour le garçon ou la fille que vous n'êtes pas, quand vous même ne vous êtes pas complètement trouvé, épanoui, compris, simplement parce que vous n'êtes qu'à une étape intermédiaire de construction, en ce petit adulte en puissance. Nous sommes ici dans ces rares instants, ces parenthèses d'une vie, qui offrent encore toutes ces possibilités, tant que les adultes ne sont pas là pour rappeler à la règle. Ce sont d'immenses opportunités, tant qu'il est encore temps, d'exercer ces libertés de jouer avec un peu tout et de rêver un peu, maintenant, sans réfléchir aux conséquences, libres comme inconscients...


Mais jouer à l'autre comprend aussi devoir en assumer les conséquences pour le meilleur et pour le pire. Ainsi, d'un baiser volé avec son amoureuse à une démonstration de force entre garçons, on passe sans s'en rendre compte à la bagarre qui nous fait devoir rendre des comptes soudain à l'adulte. De plus , la rentrée des classes arrive et la parenthèse devra irrémédiablement se fermer, pour que Laure apparaisse au grand jour, et que ce rêve de jouer au garçon révèle son caractère éphémère.
Tout sonne juste. Ces adultes qui jouent aux parents. Ces sœurs complices, ces amours d'enfance, ces regards qui se croisent, ces puretés sans musique et silences appuyés, ces jeux dans les jeux, ces personnages enfants ou adultes plus vrais que nature.
Comme des instantanés d'enfance... Comme si l'on avait pu filmer des instants de vie d'un garçon manqué sans même une caméra, comme par magie. Comme si ce n'était plus du cinéma.
Et quand on arrive, je le crois tout du moins, à faire oublier à ce point l'existence de la caméra, pour ne révéler que la vie de ces personnages qui défile devant soi, on a touché à quelque-chose de fort subtil.
Le tout est de surcroît réalisé avec juste ce qu'il faut de dialogues, de sons, de lumière, d'échanges. On touche ici à l'intime sans même le salir, sans jamais tomber dans l'excès ou le caricatural. L'on entre subtilement dans la vie intime de l'enfant qui se cherche et tente, joue à la vie, à l'autre, au mensonge , à ces personnages que l'on s'invente naturellement dans l'univers florissant, candide et sans réfléchir aux conséquences et au futur, des personnages fictifs, des mondes imaginaires, des histoires multiples ...


Ce chapitre filmé de l'enfance, de la pré-adolescence sonne tellement juste que j'ai crû un instant que l'on y était, oubliant le cinéma comme intermédiaire entre nous, objet filmé et spectateur.
Ces enfants sont stupéfiants, remarquez... Non, c'est l'enfance qui l'est à vrai dire, mais ils l'incarnent à merveille.
Très fort d'avoir su le rendre à l'écran sans fausse note aucune. Céline Sciamma semble aussi douée pour capter, partager et croquer dans l'instant l'enfance qu'un très grand compositeur de musiques sait jouer de ses notes , cordes ou instruments pour en produire un enchantement ou des accords et symphonies inoubliables.
À suivre.

Fullstorm
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le 15 oct. 2014

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Fullstorm

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