Il n'est pas totalement impossible que mon manque d'enthousiasme envers Toni Erdmann soit avant tout le fruit de considérations éminemment personnelles. Presque intimes. Je me suis toujours senti parfaitement mal à l'aise face à un canular à base de fausses identités, qu'il soit vécu ou filmé.
Sans doute parce que je considère que la vie "normale" (notez la taille des guillemets) est déjà tellement chargée de rôles à jouer, de travestissements moraux et sociaux, qu'en ajouter une couche supplémentaire me semble aussi inutile que dangereux. Aussi, sans doute, par l'effet que provoque un tel dispositif sur sa victime: soit il en révèle cruellement les faiblesses soit il se rit de sa générosité.
(Sauf, bien sûr, quand je considère que la cible mérite une telle mise-à-jour. Mais c'est assez rare)
La scène de l'appartement roumain aux œufs peints illustre impeccablement ma gêne: sans la clairvoyance affectueuse de la maitresse de maison, il s'agissait ni plus ni moins d'un grand foutage de gueule, frontal et en règle, d'un couple père-fille venant investir une cellule familiale qui ne demandait rien à personne, pour y projeter sans vergogne et avec une certaine cynisme son mal-être de grands bourgeois névrosés (et oserai-je ajouter occidental ?)


C'est donc ce malaise qui a teinté l'ensemble de mon expérience Toni Erdmann, ne me permettant pas de goûter pleinement, du coup, ses réelles fulgurances. Une des qualités du film est qu'on ne peut s'empêcher d'y repenser après coup. Parce qu'avec un métrage de cette longueur (et ses nombreuses scènes inutilement ou nécessairement étirées, selon que l'on adhère ou non au projet de Maren Ade) et avec de tels comédiens, les moments forts s'imposent avec évidence.
Sandra Hüller, cela a été dit un peu partout, crève l'écran avec ce qui ressemble à une palette un peu infinie de talents. Une jolie incarnation, en tout cas, d'une certaine difficulté de poursuivre une vie constituée de grands ratés ou de petit fours, aussi difficiles à avaler les uns que les autres


Une véritable qualité d'écriture permet au film de dire parfois avec justesse des choses sur notre époque (sinistre), sur le monde de l'entreprise (glaçant) et sur les rapports familiaux (filtrés) en ce début de 21ème siècle. Simplement, il est dommage que ces atouts aient été noyés dans un manque d'équilibre, de maitrise du temps et de l'espace (mise en scène et photo sans relief), souligné par quelques facilités coupables.


Au cours d'un petit repas post-projection que je partageais avec mon habituel compagnon de sortie, un célèbre poney rose turgescent, ce dernier m'expliquait à quel point le cinéma de copains incarné par un film comme la fille du 14 juillet constituait une bouffée d'air frais par rapport au cinéma formaté Canal + / Fémis. Je lui répondais qu'avec un peu de cette fameuse qualité d'écriture évoquée plus haut, cela pourrait finir par faire de vrais films. Cela renforce ma déception face à ce Toni Erdmann qui déborde de bonnes choses, mais qui pêche presque autant par une inconsistance de la forme que par une stagnation du fond.
Face à cette mise à nue générale et gênée, on peut se demander qui est le plus mal à l'aise, entre le sujet et l'observateur. Si le rire jaune ne dissimule pas sous ses fausses dents une désespérance tonale implacable. Et s'il est possible de départir du malaise initial qui ne semble subsister que pour de curieuses (mauvaises ?) raisons.
Que ce soit le cas ou non, il convient de relever le grand dépit allemand.

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le 31 août 2016

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guyness

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