De ce film, j'ai toujours eu en tête ce visage gonflé, aux yeux exorbités ; image qui m'a clairement marqué quand je l'ai vu pour la première fois, sûrement sans avoir l'âge conseillé. Bien évidemment, l'histoire m'était passée à côté. À l'occasion de la sortie du remake, une relecture s'imposait.

Entre francs succès (Star Wars, Alien) et pauvres performances au box office (Blade Runner, Dune), Total Recall, adapté de la nouvelle "We Can Remember It For You Wholesale", a toujours eu du mal à trouver un point d'appui pour se concrétiser, et ce depuis les prémices de son développement, au début des années 1980. Ce n'est que quand Arnold Schwarzenegger - devenu extrêmement bankable suite aux succès de Conan et Terminator - a pris le projet en main, que les choses se sont concrétisées, avec notamment la présence de Paul Verhoeven à la réalisation, dont le précédent film, RoboCop, fut une belle réussite.

Dès le départ, l'idée était de s'affranchir quelque peu de la nouvelle pour donner un côté plus aventurier à l'histoire. En même temps, ce n'est pas sur à peine vingt pages d'histoire qu'on peut en tirer un long-métrage. Sortie vingt-quatre ans auparavant, cette histoire signée du regretté et inégalable Philip K. Dick a marqué par ses twists à couper le souffle. De ce récit, le film en conserve la base : les modifications de souvenirs, l'agence secrète, Mars, et même le petit bout sur les aliens, sauf qu'agencé bien différemment ici. Pour le détail, l'on suit Doug Quaid (et non plus Quail), hanté de rêves à propos de Mars. Dans une société futuriste où les voyages vers la planète rouge sont monnaie courantes et la technologie s'est implantée dans tous les recoins de la société, il existe l'agence Rekall, qui peut implanter des souvenirs, tellement réels que le sujet s'y laisse tromper. Mais lorsque Doug décide de se laisser tenter de vivre la mission d'un agent secret sur Mars, l'agence découvre qu'il a déjà ce souvenir caché en lui et cela va créer la confusion dans l'esprit du protagoniste qui se retrouve alors entraîné dans les conséquences d'une vie passée qu'il a du mal à se rappeler. (Re)devenu un agent secret, c'est à partir de là que le film diffère du livre, en prolongeant le côté course poursuite avec les forces de l'ordre jusque sur Mars, où Doug se retrouve en plein cœur d'un conflit entre résistants et gouverneur assoiffé de pouvoir, dont il est la pièce maîtresse. Sauf qu'il ne se souvient plus de ses actions passées et qu'il est contraint de suivre une piste laissée en recours par lui-même avant que de faux souvenirs ne lui soient implantés pour le mettre à l'écart de la situation.

Arnold Schwarzenegger, fort des ses derniers rôles d'action hero prend ici le leadership, en jouant le personnage de Doug Quaid sans encombres. Son physique bodybuildé et ses répliques cinglantes vendent tout de suite la mèche sur l'orientation du ton du film, et prennent allègrement le pas sur l'absence de développement émotionnelle et le jeu monolithique de l'acteur aux expressions surjouée ou caricaturales quand il n'est pas occupé à dézinguer les figurants et repeindre les pièces en rouge. Qui dit histoire remaniée dit nouveaux personnages, et la femme de Doug ne se nomme plus Kirsten comme dans la nouvelle mais Lori et, loin de l'abandonner dès le départ, elle est plutôt intimement lié avec ses remaniements mémoriels. C'est l'irrésistible Sharon Stone qui se charge de l'interpréter, fort bien puisqu'elle n'hésitera pas non plus à distribuer quelques coups. Mais il se trouve que Doug avait une autre conquête dans sa vie "d'avant", en la personne de Melina, soit l'actrice Rachel Ticotin, quasiment inconnue, mais qui se révèle être un bon second rôle, marquant l'opposition entre la blonde et la brune typée. L'antagoniste principal du film, c'est Richter, joué par un Michael Ironside toujours au top, autoritaire et voulant à tout prix tuer Quaid. On retrouve même Ronny Cox, qui renoue avec Verhoeven après RoboCop, pour jouer le gouverneur pourri. Mention pour Mel Johnson, Jr. (Benny) qui, à l’image du personnage de Yaphet Kotto dans Alien, amène bon nombre de comportements ou dialogues humoristiques.

Mais Verhoeven ne s'est pas contenté de reprendre les thèmes de "We Can Remember It For You Wholesale", il y a ajouté une dimension supplémentaire inexistante à la base, celle de l’ambiguïté entre imagination et réalité. En effet si dans le récit d'origine il est d'évidence que tout se déroule réellement, même si le personnage de Doug est en proie aux doutes, dans son film, le réalisateur nous met davantage du côté du protagoniste et nous laisse également douter à partir du passage chez Rekall. Puisqu'il ne s'agit alors plus de simplement dénicher le vrai du faux par rapport à des souvenirs mais bien à une action en cours, Verhoeven prend soin de parsemer son film de diverses éléments nous emmenant, à tour de rôle, sur la piste du rêve correspondant en tous points au programme choisi chez Rekall mais également sur la piste de la réalité de cet agent secret finalement en quête de lui-même qui va traverser d'innombrables péripéties.

Le film est adroitement rythmé avec des scènes d'action bien funs à tour de bras, et une dynamique rarement faiblissante, enjolivée par les compositions du grand Jerry Goldsmith. La bande son est en phase totale avec l'ambiance du long-métrage et extrêmement prenante de par sa vitalité et ses nappes plus synthétisées. Seul l'acte final paraît un tantinet tordu et vraiment exagéré dans la construction de l'intrigue. Mais ce côté planet opera de par la présence des évènements sur Mars attise indéniablement l'intérêt du spectateur. Avec ses couleurs saturées, la planète rouge offre une belle identité visuelle au film de Verhoeven. Les décors et matte paintings ont rarement été aussi spectaculaires. Bien sûr, certaines incrustations sont décelables, mais toute l’ambiance du film fait que cela ne reste que des accrocs mineures qui n'empêchent en rien de profiter du spectacle et de se faire emporter dans cet univers fantastique imaginé par Rob Bottin. Les effets spéciaux sont également de haute qualité, et les différents animatronics et maquillages (pour les mutations causées par l'atmosphère de Mars) des plus convaincants. Verhoeven a ce don d'amener tout un univers imaginaire à la vie et ce Total Recall y gagne indubitablement. L'action se déroule en 2084, et des technologies futuristes ont dû être inventées. La vision du futur sur Terre demeure assez pauvre avec seulement des écrans de télé rajoutés un peu partout et des voitures automatisées. Une fois sur Mars, l'ambiance est toute autre, avec des structures et bâtiments gris métallisés de toute part, contrastant avec le rouge de l'atmosphère, et pas mal de gadgets plutôt industriels.

Après son RoboCop, Paul Verhoeven réalise de nouveau un pilier du cinéma de science-fiction. Porté par un Schwarzenegger en pleine forme, le long-métrage épate aussi par son style visuel amené à rester dans les mémoires. Sans non plus l'encenser comme une adaptation parfaite de la nouvelle de Philip K. Dick, Verhoeven a su présenter sa propre vision de l'histoire tout en conservant, et réinventant les points forts d'origine, sans dénaturer l'esprit de l'auteur. L'action prime, bien sûr, mais la réflexion n'est pas pour autant mise de côté, même si le finale du film est encore loin d'équivaloir l'impact que peut avoir celui du livre, une conclusion qui obsède à jamais.
AntoineRA
8
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le 19 août 2012

Modifiée

le 19 août 2012

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AntoineRA

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