Ce film est d'abord le fruit d'une rencontre : Arnold Schwarzenegger, star du cinéma d'action bodybuildée au faîte de la reconnaissance publique, et de Paul Verhoeven, réalisateur au goût prononcé de la provocation et de la violence débridée au service d'une critique acerbe et cynique contre l'administration américaine, et d'un divertissement presque sans limites qui joue avec les limites de la censure. Il s'agit aussi de l'adaptation d'une nouvelle de Philippe K. Dick avec l'un de ses thèmes favoris : la schizophrénie où se traduit une frontière ténue entre rêve et réalité. A ce niveau là, Paulo a fait un très bon boulot, car il est difficile de distinguer ces deux plans, sans que cette question ne soit jamais poussive. Ainsi, est-ce que tout le film est un souvenir implanté qui refait surface, un rêve contrôlé par la machine à souvenirs, ou bien la réalité elle-même, l'ambivalence demeure présente, comme en témoignent le premier plan (qui ressemble à un souvenir, mais qui peut tout aussi bien être un rêve, ou une idée contrôlée) et le dernier (qui lentement se dirige vers le ciel, et ainsi a la même connotation que le premier plan). Or, Paulo ne fait pas que de l'adaptation : sa patte est bien présente, avec une violence sèche et sans concession, et les thèmes sur lesquels il insiste (critique de le pensée unique, avec d'une part la manipulation et le contrôle du gouvernement des pensées, des rêves, et même de l'air, et d'autre part son corollaire avec la vie embourgeoisée, normale, et hypocrite, face aux désirs, rêves, et fantasmes).


Je ne veux pas rentrer dans les détails du débat Matrix/Total recall : j'aime beaucoup les deux, et leur fond commun revient avant tout à l'écrivain qui a créé tout un univers singulier, et non à influence directe de l'un sur l'autre, malgré leurs ressemblances évidentes (exemple : la fameuse pilule qui permet de passer de l'autre "côté"). Donc ce débat est stérile pour moi. Néanmoins, si on parle du coeur, Total recall est probablement mon préféré, plus jouissif pour moi dans son traitement, son usage cru et sale de la violence qui montre sans équivoque la préférence du personnage principal pour l'aventure et la libre expression de ses désirs, avec aussi tout le côté RPG et jeu de pistes qui donnent du piment à l'ensemble. Puis il y a aussi les punchlines gratinées (Mais nous sommes encore mariés ... Considère ça comme un divorce!) et le langage à deux niveaux (exemple: le plan qui fait suite à la première scène torride, avec le mixeur à milshake), qui apportent un second degré bienvenu et ajoutent au plaisir (coupable ?). Il faut dire aussi qu'il arrive que Matrix me saoule par son langage parfois tiré par les cheveux, qui rend relativement bien à l'écrit, mais à l'oral tourne à la catastrophe de style. Or paradoxalement, si Paulo en fait beaucoup visuellement, il est très parcimonieux dans son langage sur la virtualité, la double vie, la liberté, l'identité, et pourtant son scénario est tout aussi riche que Matrix, bien que moins démonstratif par le langage textuel. Je suis plus attiré par ce type de cinéma, peut-être plus authentique pour moi.


Au niveau de la réalisation, je trouve le film bien découpé et rythmé, avec une alternance bien dosée entre scènes d'action qui défouraillent et des scènes plus calmes. Il est difficile de s'ennuyer, et il y a beaucoup de scènes jouissives telles que la découverte des gadgets de l'agent-secret puis leur utilisation, et la manière dont le personnage principal expédie ses soit-disants amis en enfer, et dont les civils s'en prennent plein la gueule, victimes de tirs croisés (alors que d'habitude ils évitent miraculeusement les balles). Ce n'est pas du niveau de Spielberg pour le montage, mais au moins l'action est toujours très lisible. Enfin, le level design a peu vieilli (son petit côté old-school a d'ailleurs beaucoup de charme) et compte parmi les meilleurs de l'époque, pas loin derrière les productions de James Cameron (je pense surtout à Aliens), basé sur des maquettes pour la planète Mars et des maquillages pour les mutants qui donnent un aspect freaks pas du tout déplaisant (comme la femme à trois nichons).


Le casting est bien mis en valeur, comme souvent chez Paulo, qui compte pourtant des seconds couteaux ou acteurs de second choix. Arnold Schwarzenegger y trouve l'un de ses 3/4 meilleurs rôles (avec les deux premiers Terminator et Predator). Sharon Stone joue bien la petite garce, crédible dans les scènes de baston grâce au montage, et très sexy en tricot de corps tout transpirant après sa séance de sport. L'alter-ego féminin en brune est très bien aussi, une touche de charme en plus. Enfin, Ironside détient un bon petit rôle de bad-guy un peu con qui tire dans le tas sans trop réfléchir, bien que je le préfère dans Starship Troopers.


Bref, il s'agit là de l'un de mes films cultes, à la fois divertissant et pas con. Le mixte parfait entre le style violent et cynique de Paulo, et l'intelligence de l'histoire de K. Dick sur la double identité.

Arnaud_Mercadie
9
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le 21 avr. 2017

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Dun

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