Tous les chats sont gris. Le titre choisi par la belge Savina Dellicour n’est peut-être pas le plus heureux, en plus de n’être pas le plus explicite. Introduire cette idée de grisaille conduit à faire des associations d’idées avec la tonalité générale de son film, un peu grise en effet, pour ne pas dire terne.


Après un long exil en Angleterre, où la cinéaste a œuvré à son échelle en tant que réalisatrice sur Hollyoaks, la quatrième série TV la plus populaire du pays, elle revient en Belgique pour ce premier long-métrage de cinéma. Le sachant, on détecte ici et là ce passé britannique, la très bonne bande-son très rock, voire très punk-rock, intra-diégétique le plus souvent, les costumes idoines des adolescentes ou encore le décor de l’intérieur grand-bourgeois des grands-parents qui pourraient évoquer la porcelaine de Royal Doulton. Il semble même que la première version du film a été écrite en anglais par la cinéaste et Mathieu de Braconier son coscénariste…


Tous les chats sont gris, c’est l’histoire de Dorothy (Manon Capelle), une adolescente de 15 ans qui a tout pour vivre heureuse : une famille unie, protectrice, et cerise sur le gâteau, vivant dans le confort ; une amie, Claires (Aisleen McLafferty, une actrice toute en gouailles qu’il faudra suivre), qui n’a pas froid aux yeux et qui lui permet de s’échapper de son milieu bourgeois et de s’encanailler avec les bad boys du centre-ville… Sauf que Dorothy ne l’est pas, heureuse : sans que l’on sache si la chose lui a été révélée ou si c’est une pure hypothèse instinctive de sa part, il apparaît que son père n’est pas son père, et l’envie de connaître le « vrai » la ronge. Sa mère est loin d’être coopérative, et refuse d ‘évoquer le sujet.


Tout le problème du film est là, dans ce scénario mal travaillé qui fait ressortir quelques lacunes et incohérences. Il ressemble davantage à une carte géopolitique découpée en dépit du bon sens, qu’à un puzzle dont tous les morceaux s’emboîteraient de manière parfaitement logique. Certaines scènes semblent accouchées au forceps pour se raccorder avec les autres. Paul (Bouli Lanners), le père biologique de Dorothy, (lui aussi) fraîchement débarqué d’Angleterre après un divorce, se met à suivre Dorothy partout. Fatalement, il finit par se faire repérer, et prétexte de son job de détective privé pour expliquer sa présence, canon à gros zoom à la main. C’est l’occasion pour Dorothy et son amie Claires de l’embaucher afin de retrouver le père biologique de cette dernière (un mensonge dont on ne comprend pas le sens et qui comme d’autres idées du film, n’apportera rien au déroulement du récit).


Le film se concentre sur la relation entre Paul et Dorothy. Bouli Lanners insuffle à son personnage ce même caractère de tendre bourru qu’il a déjà exploité dans Le récent Lulu, femme nue de la regrettée Solveig Anspach. Une fois de plus, il démontre que la sobriété lui réussit, et on peut avancer que c’est lui qui porte ce film. La plupart des autres personnages ne sont pas suffisamment exploités, et les deux autres personnages principaux, ceux de Dorothy et de sa mère (Anne Coesens), sans être mauvais, manquent beaucoup de nuance. Manon Capelle, dont c’est le début au cinéma dégage pourtant une sorte de mélancolie magnétique, mais elle est affublée d’un rôle aux contours mal définis, par manque de conviction dans la mise en scène de la cinéaste, et que la jeune fille défend un peu à tort et à travers à grand renfort de cris et de manières. Même si les enjeux du film sont assez clairs, à savoir, traiter de ce qu’est la parentalité, de ce qui la compose, de ce qui fait sa « réussite », de ce qui pourrait engendrer l’attachement ou au contraire le détachement, on ne ressent hélas pas grand chose de tout cela. Le rythme est mou, rendu faussement énergique par la bande-son, et le traitement trop superficiel, trop premier degré comme son titre dont on ne comprendra le sens qu’à la toute fin du film.


Il est dommage que l’on soit ainsi déçu par le résultat, car les intentions étaient bonnes. Du coup, l’émotion arrive à peine à affleurer, et malgré Bouli Lanners et quelques réussites visuelles, ce film ne réussit pas tout à fait à transpercer la grisaille qui l’entoure.


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Bea_Dls
6
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le 18 juin 2016

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Bea Dls

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