Tout simplement noir est un mockumentaire un genre qui revêt la forme du documentaire pour présenter des événements fictifs soit dans un but parodique, soit pour un commentaire sur l’actualité en utilisant la fiction. On compte parmi ses représentants les plus emblématiques le This is Spinal Tap de Rob Reiner, film culte aux États-Unis qui décrit le quotidien d’un groupe de hard-rock ou dans nos contrées C’est arrivé près de Chez Vous qui révèla le talent de Benoit Poelvoorde. Ici une équipe de télévision suit Jean-Pascal Zadi, comédien un peu raté qui, après s’être fait remarquer par des vidéos provocantes sur les réseaux sociaux, se met en tête de monter une marche de la communauté noire pour protester contre son manque de visibilité dans la société française et le mépris de celle-ci face à sa contribution à notre histoire. Le film décrit ainsi ses efforts pour mobiliser des représentants célèbres de la communauté pour la promouvoir et l’aider à l’organiser. Cet argument de rencontres avec des personnalités donne un fil conducteur à une série de sketches qui aborde les différentes facettes du sujet. On le voit le protagoniste du film conserve le nom du co-réalisateur-scénariste du film car Tout simplement noir utilise un autre ressort comique bien connu, celui des films où des célébrités jouent leur propre rôle – plus exactement une version fantasmée d’eux même basée sur la perception du public ou au contraire à contre pied total de leur image publique à la manière de Grosse Fatigue de Michel Blanc ou This is The End de Seth Rogen et Evan Goldberg. C’est un des grands plaisirs du film que de les voir pour la plupart ne pas hésiter à écorner leur image pour incarner des personnages peu recommandables.
Car si Tout simplement noir est, avant tout authentiquement drôle c’est aussi une des rares comédies françaises mainstream – le film est une production de la vénérable major française Gaumont-, à aborder des sujets politiques ou sociétaux (même si on peut considérer par exemple que les comédies de Philippe de Chauveron ont aussi un fond politique). Chaque séquence du film aborde une facette de la question de l’engagement, sa guest-star endossant un stéréotype pour l’illustrer. Tout simplement noir évoque évidemment une forme de racisme endémique au travers des castings auxquels se présentent Jean-Pascal où lui sont réservés des rôles… difficiles. Mais aussi les ambiguïtés propres à l’engagement d’artistes, peut-être encore plus à notre époque de promotion non-stop, où la limite entre l’adhésion sincère à une cause et la récupération commerciale est parfois floue. Ainsi le personnage du stand-upper Fary, véritable second rôle du film qui introduit Jean-Pascal dans le monde du show-biz et se révèle être surtout intéressé par l’exploitation de cette initiative à des fins personnelles. Le personnage de Jean-Pascal lui-même est assez ambigu, tiraillé qu’il est entre de vrais aspirations politiques mais aussi un vrai désir de notoriété. Dans le même registre, Zadi pointe la maladresse parfois suspectes de personnes se voulant sympathisants à une cause qui ne les concerne pas au premier chef mais entretiennent un rapport ambigu au racisme et aux clichés racistes. Ici c’est un Matthieu Kassovitz excellent dans l’auto-dérision qui se campe en réalisateur militant à l’intensité extrême qui finit par se comporter sous couvert d’authenticité, comme un véritable racialiste.
Mais Jean-Pascal Zadi n’est pas naïf et ce qui donne à nos yeux toute sa pertinence au film c’est sa façon d’aborder des sujets moins consensuels comme la concurrence qui finit par s’établir entre les différentes causes: féministes, écologistes et au sein des mouvements antiracistes eux-même. Ainsi une conversation borderline entre Zadi, Ramzy Bedia, Amelle Chahbi, Rachid Djaidani et Jonathan Cohen qui évoque la question du racisme entre les communautés ou celles des rapports entre juifs et musulmans. Tout simplement noir parle également des lignes de rupture au sein même des causes avec la tentation de la radicalité qui aboutit à fractionner le mouvement entre les « authentiques » et les « traîtres ». Cette thématique donne lieu à une des séquences les plus réussies du film car justement elle mélange un propos sérieux et un délire purement burlesque avec une conversation sur les mérites de leurs films respectifs entre Fabrice Eboué (Case départ) et Lucien Jean-Baptiste (La Première étoile) qui prend une tournure apocalyptique.
Mais si Tout simplement noir peut s’aventurer dans des zones inconfortables sans jamais perdre son public, c’est grâce au naturel désarmant de son interprète principal, qui avec un mélange de fausse naïveté et de malice authentique sert de détonateur aux situations comiques et désamorce parfois des séquences qui auraient pu déraper. Jean-Pascal Zadi a une vraie nature comique qui évoque tout aussi bien les personnages de losers un peu canaille qu’incarnaient Michel Blanc dans les années 80 ou Eddie Murphy tout en étant complètement en phase avec le comique urbain des années 2020. On pourra voir comme une limite au film de n’être qu’une succession de sketches mais l’écriture est si efficace et l’énergie des interprètes si communicatives qu’elle emporte le spectateur. Seul bémol à nos yeux des tentatives pour apporter une dimension plus tendre (les rapports avec son père) ou plus dramatiques (une séquence d’arrestation) trop timorées pour être efficaces. Si le hasard du calendrier fait coïncider sa sortie avec les manifestations ayant fait suite à l’assassinat de George Floyd aux USA et celles liées à l’affaire Adama Traoré en France, Tout simplement noir n’a pas la vocation d’être un manifeste militant c’est une comédie férocement drôle qui parvient à faire passer quelques messages pertinents de la façon la plus subversive qui soit en étant tout simplement drôle.