Incroyable film que voici, la première heure est somptueuse, la deuxième tout autant même si je dois admettre que ça m'a moins parlé, parce que je voulais que cette romance ne se finisse jamais plutôt que de laisser place aux enjeux politiques du film. On a un film qui en évoque plein d'autres, certains d'avant comme ceux d'Hitchcock dans les trains, d'autres contemporains avec la Nouvelle Vague où ça drague, d'autres qui suivront comme ceux de Fellini et son onirisme, et d'autres beaucoup plus tardifs, comme certains films romantiques asiatiques (Labyrinthe des rêves, Wong Kar-Wai).


On a une mise en scène grandiose, qui pense tous ses plans dans l'espace exiguë du couloir d'un train ou d'une chambre, avec plusieurs personnages, c'est super complexe tout en étant très simple. On a un triangle amoureux mais avec beaucoup plus de personnages, et toutes leurs relations vont passées par des regards, des dispositions dans l'espace, beaucoup de silences (ça parle aussi, mais c'est finalement assez peu comparé à la virtuosité de la scénographie). On a des cadrages magnifiques, qui viennent masquer les yeux, d'autres de l'extérieur du train comme lorsque la femme jette ses papiers par la fenêtre. Le train est pensé comme l'espace cinématographique, la caméra filme de l'extérieur à travers les fenêtres et opère des travellings, chaque fenêtre devient un écran où se déroule une petite histoire seulement racontée avec de la mise en scène, une histoire qui correspond à un personnage d'une cabine, le tout avec beaucoup d'humour, sans rire aux éclats ça pimente le film, le film joue avec ça, comme lorsque la caméra panote sur un miroir pour qu'on puisse voir un contre-champ qui nous était refusé.


Faut dire que le film frôle parfois le film choral, et c'est là où il devient magistral c'est que son discours politique qui pense la religion, la déportation, la libération des mœurs, mais toujours en filigrane rien que par des évocations (la première pierre, les amours impossibles, etc.) se canalise dans la deuxième partie, en étudiant un phénomène de masse mais sans ne jamais refusé aux personnages leur individualité. C'est au-delà d'un partage du sensible, certes chaque personnage a le droit à sa visibilité, à sa parole, mais c'est aussi tout un développement de personnages qu'on ne verra que deux ou trois fois. Je pense notamment au curé, qu'on voit choqué lors d'une scène de fustigation impressionnante, puis qui replace une croix sur une tombe, puis qui rapporte une chaussure, c'est la bonté, la charité qui est représentée à travers ce personnage et en trois plans il lui développe une personnalité, on sait à qui on a affaire, et seulement avec la mise en scène. C'est tout bonnement incroyable, et c'est comme ça avec tous les personnages. Mais il montre également un phénomène de masse, des gens qui se défilent, qui suivent, qui guident. Il y ce plan incroyable ou le type sort en disant qu'il ne l'attraperont pas et quand il disparait tout le monde rentre dans sa cabine.


Bref, on se prend une claque à tous les niveaux. Et puis il y a cette femme qui va polarisé les amours et les regards, car il est vrai qu'elle est magnifique. Et la romance du film est juste sublime.


C'est un film très dense, et complexe dans son discours, aussi je ne saurais tout mentionner, c'est très onirique, on des doutes sur la réalité des événements, la fin est assez ambiguë à ce titre. Ca m'a beaucoup évoqué le Fellini de la période baroque justement pour ce caractère onirique, romantique, etc. La musique aussi est géniale surtout qu'il n'y a qu'un seul thème de cool jazz joué au xylophone qui revient en boucle pendant tout le film, ça crée vraiment quelque chose, un peu comme lorsque Wong Kar-Wai fait Chunking Express, on a ce leitmotiv auquel on se prend et qui rythme le film, qui nous berce, qui nous emporte.


Bon, c'est grandiose. Sans parler des conditions de visionnage qui ont rendu l'expérience encore plus géniale. En plein air, au bord de l'eau, dans un de mes endroits préférés d'enfance, parfait pour se mettre dans la mélancolie du film.

Rubedo
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le 24 mai 2017

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