Avant de voir le sort que Boyle va réserver à sa clique 20 ans après, il n’était pas inutile de se replonger dans ce film culte, pas revu depuis sa sortie…


Entreprise risquée s’il en est : parce que du film, il me restait surtout la BO, une tranche bien dense de quinze année de la quintessence british, et que voir certains morceaux saucissonnés ou au service d’un clip blafard n’allait pas leur faire du bien ; parce que, surtout, en deux décennies, Danny Boyle est devenu le cinéaste que l’on sait, et que voir son œuvre de jeunesse sera – même involontairement - surtout l’occasion de guetter les signes avant-coureurs de ses défauts, à savoir ce maniérisme formel poseur et clinquant.


Le film n’échappe donc pas à cette cruelle conversation avec mon moi jeune. Commençons tout de même, en toute bienveillance, à lui reconnaître les qualités qui lui restent.
Trainspotting est vivace et cruel : alors qu’il ne raconte pratiquement rien avant son dernier quart d’heure, il parvient à dresser une série de portraits plutôt efficaces, souvent assez drôle dans leur méchanceté, du psychopathe se shootant à la violence aux héroïnomanes dénués de toute volonté, et se cachant dans un premier temps derrière un discours antisocial. La bande de loosers est bigarrée, et se déplace dans un monde d’une tristesse sans noms : insuffler l’héroïne et la musique semble être la dernière solution pour se sentir vivant. Les parents, les employeurs, les autorités ne sont que des zombies (qui n’auront plus rien de métaphorique dans 28 jours plus tard). Cette lucidité dans le regard sur la drogue permet une tonalité souvent pertinente : on commence par rire de ces personnages insolites (notamment de Spud, et de son entretien d’embauche qu’il doit rater pour continuer à toucher ses allocs), avant de prendre la mesure de leurs bassesses respectives : vénaux, dépendants, traîtres, ils sont pourris aussi bien dans leur sang que dans leur cœur. De ce point de vue, le contraste entre cette bande-son fédératrice et la souillure anti-glamour des images est à la fois honnête et porteur de sens : jaunie, sale, la photographie donne à voir la réalité la plus crue d’un monde qui se croit vivant. L’appréhension de l’espace, notamment, insiste beaucoup sur l’incapacité des personnages à habiter les lieux qu’ils investissent, trop grands, mouvants (le sol qui se creuse dans le sol pendant l’overdose, les parois s’élargissant durant le sevrage), souvent en plongée sur leur déplacements de misérables pantins.


Il n’en reste pas moins que la capacité de Boyle à agacer s’exprime déjà ici à grande échelle. Le film est un gigantesque clip, et ce qu’on a pu qualifier d’inventif en terme de mise en scène s’essouffle dans une gratuité presque constante. Caméra oblique ou inclinée à 90°, reflets déformés dans des parois de verre, ralentis, retour en arrière, prises de vues, c’est le grand catalogue des effets dopants, au service de séquence qui n’ont pas grand-chose à raconter.
Car là est le grand manque de ce film censé, de temps à autre, nous ouvrir les yeux sur l’horreur de la drogue : son incapacité à émouvoir. Si l’on peut se distancier d’un personnage principal antihéroïque au possible, l’ensemble du film semble souffrir de la même anesthésie que ces camés : rivés à une pure forme, celle du trip, ils n’existent pas sans lui, et la fadeur de leur existence semble être un sujet que n’a pas su aborder Boyle, qui s’est toujours révélé bien frileux face aux vertiges de l’insipide vérité. Pour peu qu’on recherche un peu d’authenticité, on restera sur sa faim face à ce cinéma aux hormones.

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le 28 févr. 2017

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Sergent_Pepper

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