Thriller dense aux pistes multiples, Trance, dixième long-métrage de Danny Boyle pour le cinéma, traite des mécanismes de la mémoire avec une



virtuosité rare autour d’un scénario complexe



qui sait emmener le spectateur dans les nombreux méandres de l’esprit humain. Comme à son habitude, le cinéaste écossais tente de disséquer les fonctionnements du chaos de l’âme humaine et livre, avec le retour de son complice scénariste John Hodge,



un film labyrinthique et déroutant



pour le plus grand plaisir du spectateur exigeant : l’essai ne plaira probablement pas à tous ceux qui apprécient qu’on leur prémâche le travail mais séduira assurément ceux qui viennent dans les salles obscures pour nourrir leurs méninges.



Do not be a hero. No piece of art is worth a human life.



De la voix-off introductive de Simon, commissaire-priseur et responsable de sécurité d’une salle des enchères, qui nous raconte l’histoire de Tempête sur la Mer de Galilée, tableau volé de Rembrandt, à l’effectif braquage du Vol des Sorcières de Goya, cinq minutes sont utiles au démarrage intense du récit.



Film de braquage aux avidités multiples,



la première partie a des allures d’imbroglio à la Guy Ritchie tandis que Simon, frappé violemment à la tête et souffrant d’une amnésie partielle, tente de recouvrer la mémoire pour se sortir d’une situation menaçante. Intervient alors Elisabeth, hypnotiseuse. Le thriller à énigmes joue sur l’équilibre tendu entre une réalité d’urgence, question de survie, et le fond intime et secret d’un personnage abimé.
Traite des méandres incertains de la mémoire humaine qui, sélective, sait parfois inconsciemment faire le choix de l’oubli, afin de protéger l’intégrité de l’être. Nous parle de relations humaines, de la destruction de soi et de l’autre dans la jalousie et dans l’avidité, dans le besoin de posséder. Évoque des caractères communs, ordinaires, aux envies d’extraordinaire, séduits par l’attrait du danger. Donne une leçon de maîtrise de soi en disant la faiblesse de la colère et la force du calme. Et tente de percer



les secrets profonds du fonctionnement de la mémoire



en les plaçant autant comme éléments moteurs du scénario qu’en les utilisant, forme aux accents expérimentaux, dans la construction narrative graphique. Perdant le spectateur entre deux ou trois niveaux de récit pas toujours dissociables. Mettant là en évidence le défaut de la mémoire qui sait parfois nous jouer des tours, de ces réveils où le rêve semble si réel qu’il pourrait tout aussi bien n’être qu’un souvenir, que finalement nous intégrons à l’histoire de notre vie, à la construction assumée de notre intime, de notre identité.



Do you want to remember or do you want to forget ?



Dans la forme, Danny Boyle ne se renouvelle pas, mais là où ses effets de style prenaient parfois un peu de distance avec la narration, ils ajoutent ici au trouble de la perméable frontière entre réalité et point de vue. Autour de trois personnages aux caractères bien marqués, l’image développe



une narration aux frontières floues



à travers jeux de miroirs, montages parallèles, réminiscences incertaines. S’amusant à perdre le spectateur autant que les personnages, la narration visuelle est menée de main de maître, ferme et efficace, sans détour inutile. Tous les effets participent du labyrinthe qui se construit longtemps jusqu’à ce que la lueur d’une issue lève finalement les multiples voiles qui obturaient les motivations profondes et réelles de chacun. Il faut aussi relever l’intelligence du choix de la peinture, de cet art pictural éternel, contre l’oubli, pour nous emmener dans ce suspense mnémonique, l’ironie centrale d’un récit qui nous montre des corps et des vies gravées dans l’éternité de l’huile des maîtres pour nous raconter



l’irrémédiable oubli individuel de nos propres histoires.



Coup de maître assurément, génial.


Servi par un trio de comédiens impeccables.
James McAvoy, accent scottish d’une distinction extraordinaire, donne autant de force que de fragilité à un Simon perdu dans une existence qu’il ne comprend pas, qu’il ne reconnait plus tout à fait. Se prête avec joie autant que professionnalisme aux exigences d’une mise en scène qui lui demande une profonde implication. Vincent Cassel excelle dans un rôle de malfrat au grand cœur, sévère mais juste, tout en stricte retenue, toujours avenant. Quant à Rosario Dawson, perle au cœur du conflit, elle compose avec justesse l’innocence, le calme et la maîtrise de soi d’une femme forte, actrice de sa vie avec passion autant qu’avec intelligence. Tirés vers le haut par la volonté d’un réalisateur intransigeant sur ce qu’il attend, impliqués à chaque instant, le trio fonctionne merveilleusement et nous sert un plateau d’émotions intenses, de l’irrésistible perte de contrôle à la maîtrise intégrale de soi autant que des évènements qui viennent.
Superbes partitions.


Avec la complicité enrichissante de ses comédiens, avec l’aisance et le plaisir qui signent son cinéma, photographie magnifique, précise, dans une envolée de musiques electro qui rythment à merveille une histoire d’avidité, d’amour et de maîtrise de son existence, le prolifique réalisateur signe



une œuvre magistrale sur les mécanismes auto-protecteurs de l’oubli



qui participent de l’instinct animal de survie qui anime profondément le cœur des hommes. Trance, là où la forme enrichie considérablement un propos complexe et ambitieux, intelligent, profond, touche au chef-d’œuvre. Et se place définitivement comme indispensable dans cette dense et riche filmographie consacrée aux mécanismes des comportements humains dans d’extrêmes situations, aux manipulations quotidiennes inhérentes aux interactions sociales.

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