Transcendance, danse en transe, la valse de l'ennui

Teasing de ouf : j'ai envie d'écrire sur Mad Max. Mais avant cela, chose qui n'est pas arrivée depuis Wall-E, je retournerai au cinéma voir Mad Max. J'ai besoin de le revoir, comme on a besoin de remonter dans un grand huit à peine descendu, comme on a envie de croire qu'on pourra mieux analyser les courbes, virages, l'estomac qui se soulève au sommet d'une parabole, tout en sachant pertinemment qu'on se laissera à nouveau happer par l'excitation et qu'on ne reprendra conscience que quelques minutes après la sortie de la salle... Pardon, de l'attraction.


D'ailleurs, je n'ai pas envie qu'il paie les pots cassés de la première critique après une longue absence. Tu mérites mieux, public, et le film aussi mérite mieux.


Pourquoi vous dis-je tout cela ? Parce que je n'aime pas commencer une critique trop brutalement, et parce que j'ai toujours trouvé sans intérêt de refaire un résumé du film en intro. Le pitch est présent sur la fiche SensCritique, sur Wikipedia, raconter ma vie n'est sans doute pas beaucoup plus intéressant, mais au moins vous ne le lirez nulle part ailleurs. Bande de petits veinards.


Et puis aussi mais surtout, je crois que Transcendance mérite que je gaspille deux paragraphes pour parler d'un autre film. Pensez donc, avec un casting gaulé comme celui-là, arriver à nous pondre une œuvre de SF aussi minable, dénuée d'enjeux, d'intérêt et de cohérence, ça tient de l'admirable.
En plus il arrive presque en terrain conquis :



SeigneurAo a envie de voir le film Transcendance
Commenter · 26 novembre 2013



Le casting, le sujet, tout me parlait. J'ai d'ailleurs passé la première moitié des presque deux heures à défendre l'objet des foudres de ma chère et tendre, me raccrochant à une cohérence bel et bien tenue (même si quelque peu ténue) par rapport à ce que mes (sans doute faibles) connaissances du domaine me disaient.


Passons outre la réflexion métaphysique pour l'instant si vous y consentez. D'un point de vue "scientifique", je n'ai pas repéré de gros drame, tout au plus quelques approximations et raccourcis. Ces dernières années, d'énormes progrès ont été effectués, de la "lecture" et cartographie du cerveau à la montée en puissance des systèmes informatiques laissant entrevoir la perspective de réseaux neuronaux artificiels, les barrières nous séparant de la science-fiction s'abattent peu à peu, pour laisser principalement place à des considérations éthiques, philosophiques voire religieuses : l'existence de l'âme, ce qui nous définit en tant qu'être humain.
Bref, sans évidemment que ce soit encore réaliste, les notions abordées et les concepts scientifiques purs et durs soulevés dans Transcendance m'ont au pire fait lever un sourcil dubitatif, mais n'ont jamais provoqué l'abîme de désespoir et d'incompréhension dans lequel ont pu me plonger les Lucy et autres abominations du même calibre (le traumatisme est encore là, si longtemps après).
Du moins dans sa première moitié, nous allons y revenir.


Reste que dès les premières minutes et l'absence quasi-totale d'exposition, on sentait que les enjeux et l'empathie envers les personnages allaient cruellement faire défaut, ce qui ne s'est jamais démenti malheureusement, au contraire. Mais n'anticipons pas plus que nécessaire.
Petite parenthèse (promis), l'exposition est un outil à manier avec les plus infinies précautions. Un film d'action pourra par exemple aisément s'en passer, parfois avantageusement d'ailleurs (je vous renvoie au premier paragraphe de la présente critique). Un film qui va tenter de nous faire partager les doutes, conflits moraux et diverses tribulations émotionnelles des protagonistes veillera à nous lier avec eux. Fin de parenthèse.
L'échec du métrage qui nous occupe repose en grande partie sur le détachement initial, et qui va en s'aggravant, entre le spectateur et les acteurs évoluant à l'écran. Car c'est ainsi qu'on les voit bien trop.


Après une scène introductive ultra-courte, bâclée et sans le moindre intérêt, à laquelle on ne reviendra que dans les cinq dernières minutes, se produit un flashback vers un événement majeur, beaucoup trop soudain et dont les conséquences sont encore trop floues à ce moment de l'histoire pour qu'il ait le moindre impact sur nous. Le tout entrecoupé d'un des procédés les plus éculés de l'histoire du cinéma : les héros du film, scientifiques, en conférence devant un auditoire avide. Et des plans de coupe d'autres situations, qui à cet instant n'ont pas de lien identifié avec lesdits héros, ni d'ailleurs grand intérêt en elles-mêmes.
L'on déplore souvent le manque de lisibilité de certaines scènes d'action. Cette séquence présentant les personnages principaux compte sans hésiter parmi les plus confuses et brouillonnes qu'il m'ait été donné de voir. On ne comprend strictement rien, ce qui est déjà regrettable, mais plus grave encore on s'en tape joyeusement.
Dès lors, l'exercice d'identifier les enjeux prend le pas sur le ressenti, l'émotionnel cède la place à l'analytique. On veut comprendre ce que le cinéaste essaie péniblement de nous raconter, et on n'a pas la possibilité, encore moins le temps, d'établir la moindre proximité avec les personnages.


Va y avoir du Spoil, mais moi j'reste tranquille (ou si vous avez un jour l'intention saugrenue de voir ce film, cessez ici votre lecture).


Au centre du propos, venons-y enfin, la polémique galvaudée de l'intelligence artificielle, ses dérives et dangers pour l'intégrité de l'Homme et la pérennité de la Société. Vaste programme. Tellement vaste d'ailleurs qu'il est de façon complètement prévisible à peine effleuré mais, à la décharge du réalisateur dont c'est le premier (et à date, seul) film, en cela grandement handicapé par une loooooooongue liste de prédécesseurs.
Pour preuve, les efforts démesurés et par trop évidents déployés pour désamorcer la comparaison avec le Skynet de Terminator. Le Johnny Depp virtuel est brièvement et inutilement conservé sur un serveur local, avant de s'en échapper par nécessité, puis de revenir s'enfermer de manière totalement artificielle et illogique dans un bunker sous le désert d'une quelconque contrée américaine paumée.
Les gars : il a le réseau mondial sous la main, des millions d'ordinateurs interconnectés, et il préfère se construire une base de zéro ? Aucune justification valable n'appuie ce choix, pourtant fait par un être à l'intelligence théoriquement infinie. On entre grosso-modo à ce moment dans la seconde partie, qui va abandonner tout semblant de cohérence, et plus globalement de dignité d'ailleurs.
Nouvel aparté, bref : je me suis plusieurs fois demandé si il en était allé de même pour ce film que pour le Babylon A.D. de Kassovitz, à savoir les producteurs imposant un nouveau réalisateur pour boucler l'affaire après dépassement de budget et accumulation de diverses emmerdes de tournage.
Aparté dans l'aparté : Nolan est producteur exécutif. Just sayin'.


À partir de là, c'est la dégringolade. On intègre de manière fort maladroite : les terroristes aperçus furtivement tout au début, le FBI, on passe au shaker et ça donne une bouillie informe qui commence à faire des bébés sans intervention extérieure. Pris dans une spirale infernale de surenchère, vingt petites minutes suffisent pour introduire des androïdes aux capacités surhumaines (eux aussi reliés par Wi-Fi, cela va sans dire), la régénération cellulaire, la manipulation de la matière sans le moindre contact (what !?), évacuant au passage l'énigme de la provenance de tous ces panneaux solaires, serveurs et d'une manière générale matériaux dans leur ensemble...
L'argent peut beaucoup, mais d'un point de vue logistique je vois mal les chaînes de production existantes soutenir de tels besoins, surtout sans éveiller l'attention des services secrets deux jours environ après le début des travaux. J'aimerais aussi que l'on m'explique comment la super-intelligence de tonton Johnny l'amène à la conclusion que, pour passer inaperçu, le mieux est de rendre soudainement hyperactive une bourgade fantôme depuis 15 ans. Allez c'était vraiment pour le plaisir de tacler, je vous assure que c'est quasi-anecdotique par rapport au reste. En plus on n'a pas le temps, il subsiste pas mal de choses au menu.


Dans ce maelström, difficile de trouver du temps pour traiter les tergiversations amoureuses et éthiques de l'héroïne, ou encore pour nuancer les positions des uns et des autres. Les méchants terroristes sont les gentils la seconde d'après, le meilleur-ami-du-héros change de camp le temps de cligner des yeux, et la meilleure-femme-du-héros comprend l'horreur de la situation et fait le deuil de feu son scientifique de mari en moins de temps qu'il n'en faut pour dire "singe rhésus".
On aurait aimé que le temps passe aussi vite pour nous, mais il faut se fader l'éternel Morgan Freeman dans son (maintenant (un peu ((trop) récurrent))) rôle de caution sagesse scientifique, et voir l'intrigue avancer péniblement vers une absence quasi-totale de résolution, une morale cui-cui-les-ptits-zoizos sur tout le mal qu'on fait à notre belle Terre et sur comment qu'une utilisation raisonnée et responsable de la Science pourrait tout réparer le mal qu'on a fait, mais au prix de faire un crochet rapide par l'âge de pierre. Sans oublier évidemment la rédemption presque complète de la vilaine IA manipulatrice, parce qu'au fond c'était un homme bien de son vivant. Ouf, reprenez votre souffle.


Ah ben nan, trop tard.


The end.


Me reste alors à vous conter combien, pour habiller cette histoire insipide et mal branlée, que pouvait-on espérer sinon une mise en scène insipide et mal branlée, ponctuée de quelques tics hilarants (si toi aussi tu aimes les gouttes d'eau en gros plan et au ralenti, tu seras comblé. Envoie "goutte" au 8 22 22).
Combien, grand amateur devant l'éternel des bonnes bandes originales, je suis désolé de ne pas me rappeler la moindre note de celle-ci à peine deux heures après le clap de fin.
Combien il est désagréable de constater que, c'est maintenant inéluctable, Johnny Depp va pouvoir entrer dans ma liste "Ils nous ont quitté trop tôt". Et combien la petite Mara est oubliée et oubliable dans ce film, en blonde fadasse qui plus est. Les autres rôles ne surnageant guère dans le marasme ambiant.
Et combien, finalement, il est triste d'infliger ce genre de spectacle de seconde zone à sa chérie, sur simple foi d'une bande-annonce mensongère et d'un casting alléchant.


Si vous m'avez lu jusqu'ici, vous au moins pourrez éviter cela, pour vous comme pour vos proches... Un film traitant de l'âme, sans en posséder la moindre.


MAIS JE M'EN FOUS, JE VAIS REVOIR MAD MAX ET TOUT IRA BIEN À NOUVEAU !

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le 21 mai 2015

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SeigneurAo

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