Dans sa quête d’authenticité, Berg en oublie son récit et ses personnages faisant de Traque à Boston ni un bon documentaire ni un bon thriller.



Peter Berg en aurait-il définitivement terminé avec la science-fiction racoleuse et mercantile (Hancock, Battleship) ? C’est du moins ce que l’on pourrait croire avec sa dernière réalisation inspirée de faits réels : TRAQUE À BOSTON revient sur l’enquête autour du double attentat du du 15 avril 2013 lors du Marathon de Boston, et la traque des terroristes qui s’en est suivie. Devenu en quelque sorte LE spécialiste américain du film tiré de faits réels (Le Royaume, Du sang et des larmes, Deepwater), Berg poursuit son entreprise patriotique à travers un hommage appuyé du peuple et des valeurs fédératrices chères à la bannière étoilée.


PHOTO: Bacon, Walhberg, et Goodman dans un entrepot


C’est par une reconstitution accrue des lieux, des personnages, des éléments de l’enquête que le cinéma hyperréaliste de Berg trouve ses origines documentaires. Selon lui, il n’y a qu’une seule manière de traiter ce type d’événement avec le respect et la dignité qu’il convient, et cela passe par une authenticité à toute épreuve. Vrai paradoxe quand on sait que son cinéma est nourri d’abord du cinéma de genre (donc d’une certaine efficacité dramatique), de l’imagerie numérique (les caméras de surveillance), du filmage des actualités (caméra à l’épaule, images d’archives), de tout ce que l’image dite réaliste contient de troublant et participe de la porosité entre univers fictionnel et monde réel. S’il convoque allègrement ces différentes natures d’images, ce n’est que dans le but d’obtenir un regain de réalisme, jamais pour montrer en quoi la nature d’une image fait varier sa valeur (esthétique, symbolique, politique).


Il aura beau nous faire croire aux qualités « documentarisantes » de sa fiction, Berg ne trompe finalement personne. À partir du moment où il pose sa caméra et agence un point de vue sur ces policiers ou ces terroristes, il ordonne un monde médiatisé par la domination de ses mêmes puissances (technologiques, idéologiques…). La fiction ne sert alors qu’à nous offrir ce que nous voulons voir : la chasse et la mise à mort des deux terroristes. Le spectateur veut voir la débauche de moyens matériaux et de ressources humaines déployée suite à l’attaque terroriste ; il veut assister à l’émergence d’une communauté solidaire (de toutes couleurs, de toutes classes sociales) contre les puissances du Mal. Et TRAQUE À BOSTON va lui donner tout cela.



« Par peur d’ennuyer Traque à Boston se repose davantage sur les clichés du genre du thriller »



À l’inverse, Deepwater fonctionnait davantage par son caractère immersive – Berg plongeait le spectateur dans le quotidien d’une plateforme pétrolière avec des métiers peu connus, possédant leur propre jargon technique, leur propre hiérarchie. Dans TRAQUE À BOSTON, Berg perd ce qui faisait l’originalité d’un cadre spatio-temporel mise au service d’une efficacité dramatique (le film catastrophe avec son suspense). Par peur d’ennuyer probablement, il se repose davantage sur les clichés du genre, en particulier celui du thriller (les sempiternelles “engueulades” entre policiers locaux et agents du FBI), et une caractérisation inopportune et succincte de la plupart des personnages. Par souci de véridicité, il veut rendre hommage à tout le monde et n’oublier personne, mais ce qui s’avère être que des esquisses de personnages finissent par en pâtir grandement.


Délaissant donc les personnages au profit d’une reconstitution millimétrée parfois incompréhensible à l’image du rôle du groupe interviewant la femme du terroriste, TRAQUE À BOSTON n’a plus l’efficacité dramatique de Deepwater (du moins de sa première partie). Le récit se perd en accumulant toutes ces destinées, aussi vite ouvertes que refermées. Bien qu’il soit toujours fasciné, enfin surtout admiratif, de ces hommes ordinaires, Berg pointe uniquement sur eux un héroïsme citoyen grandiloquent, un patriotisme de circonstances.


PHOTO : On sait pas vraiment à quoi J.K. Simmons est là (comme les autres personnages d'ailleurs), mais il est là


Dans ce qui s’avère être un faux film choral, c’est à Mark Wahlberg, qui interprète ici le policier Tommy Saunders, que revient l’honneur d’incarner à lui seul la “voix” de Boston, celle d’une communauté forte qui s’élève contre les forces du Mal. Handicapé par une blessure au genou, il va dépasser la douleur pour, tour à tour, aider les citoyens blessés lors de l’attaque, rechercher activement les terroristes et participer à leur mort ou arrestation. Portrait synthétique de tout ce que l’Amérique fait de meilleur, Saunders a tout du bosseur énergique et persévérant. Il fait des heures supplémentaires sans “broncher” et n’a même plus le temps pour prendre un bain pourtant bien mérité. Il est aussi un mari aimant, bien qu’un peu borderline (à Hollywood, ces « petits » démons se nomment généralement violence policière, alcoolisme…), mais c’est pour le rendre plus humain, plus “normal” et “réaliste”. De toute manière quand il s’agit de terrorisme, les déviances du quotidien sont vite oubliées pour faciliter le grand rassemblement autour d’un amour commun, dernière barrière contre la haine.


Par Antoine, pour Le Blog du Cinéma

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le 31 mars 2017

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