Tremblements, le film du Guatémaltèque Jayro Bustamante est une coproduction française, et dès le générique du film, l’instinct du spectateur lui souffle qu’un sujet qui est un mélange d’homophobie et de religiosité aveugle ne doit pas forcément trouver preneur (et financeur) dans un pays comme le Guatemala, un pays où la discrimination relative à l’orientation sexuelle n’est pas punie par la loi, et dont les dirigeants réfléchissent sérieusement à interdire explicitement le mariage du même sexe, pourtant autorisé par la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme.


De plus, voilà un film qui commence d’une manière brutale, socialement brutale : Don Pablo (Juan Pablo Olyslager), le fils de famille, rentre chez lui au volant de sa rutilante 4×4, sous une pluie battante. Tandis qu’un domestique trempé ouvre le portail, une autre s’avance avec un parapluie pour lui éviter un quelconque ruissellement. L’un est blanc, les autres des Indiens. L’image est choquante, symptomatique d’une Amérique latine de colons et d’esclaves, qu’on retrouve encore aujourd’hui au travers des multinationales productrices de palmiers africains (ou de cannes à sucre sur les côtes), qui emploient les paysans mayas sous des conditions extrêmes. Bustamante en montre d’ailleurs des facettes dans son premier et précédent long métrage Ixcanul.


Mais revenons au vif du sujet de Tremblements. Sans perdre du temps en démonstrations inutiles pour son propos, Bustamante nous projette directement au milieu du drame. Don Pablo (qui perdra son Don auprès de la domestiquerie après la disgrâce) est un quadra musclé qui porte beau avec une barbe poivre et sel, un boulot de consultant, une femme riche héritière en plus d’être très belle, et deux enfants adorables. Cet archétype du bon père de famille fait donc, au début du film, irruption dans une pièce où tous les membres de sa famille se tiennent comme des victimes et/ou des accusateurs : il a lourdement fauté, couché avec un autre homme, mais pire encore, plutôt que de le nier (comme son père le lui a suggéré), il a tout reconnu. Puis il tourne le dos à toutes ces jérémiades …pour aller se cacher dans sa chambre comme un enfant, voire un animal, sous un drap. Le ton est donné, celui de la honte omniprésente, celle de Pablo et celle de sa famille. Une honte qui n’a qu’une seule raison, le Dieu de leur communauté évangélique puissante, un Dieu que la mère de Pablo invoque pour le détruire, ou détruire sa relation, afin qu’il renaisse virginal au sein de la paroisse. Un Dieu à qui il faut offrir sa souffrance et pour qui le bonheur est forcément égoïste et éminemment suspect. Alors que Pablo est écrasé par sa religion, son compagnon, Francisco (Mauricio Armas), vit son homosexualité d’une manière beaucoup plus légère, joyeuse, mais lucide (« tu croyais qu’être pédé ça allait être facile ? Tu te crois au Luxembourg ou quoi ? »). Pablo n’assume rien, plus exactement il est dans l’impossibilité d’assumer et sa capitulation est encore plus difficile à voir que l’hypocrisie et la monstruosité de sa famille, puis de « son » église.


Tourné dans des tons très dé-saturés, Tremblements est un film sombre, noyé de pluie, traversé de tremblements de terre, des métaphores à la hauteur de ce qui s’y passe. Le beau-frère de Pablo, sous couvert d’aider Isa (Diane Bathen), la femme éplorée de ce dernier, n’a en réalité que des envies lubriques pour elle. Isa elle-même, grâce à son argent et à la communauté évangélique, préfère priver l’homme que pourtant elle aime de ses enfants et de son travail. C’est un microcosme terrifiant, basé sur du mensonge, où seuls les deux enfants disent et ressentent encore le vrai, et les mots qu’ils se chuchotent l’un à l’autre au creux de la nuit sont une véritable trouée de douceur dans un monde crasseux.


Si bien que lorsqu’il arrive aux scènes de thérapie de conversion, le spectateur n’est plus surpris de rien. Ni de la violence physique de ces séances, ni des tortures psychologiques dignes d’un véritable camp de redressement. Que ce soit le pasteur et sa femme qui organisent ces séances ne sont plus que des faits qui se rajoutent à d’autres pour dire l’indicible , l’homophobie plus forte que tout, la déviance du milieu grand-bourgeois guatémaltèque recroquevillé sur une religion dévoyée et devenue un signe distinctif vidé de son sens. Jayro Bustamante réussit à passer son message sans grande gesticulation, mais au contraire avec une élégante sobriété. Sans rejoindre la noirceur et la radicalité du Mexicain Michel Franco (Les filles d’Avril, Chronic, etc.), il y a un peu du cinéma de ce dernier dans Tremblements, un peu de celui l’Argentin Pablo Trapero également (El Clan, Elefanto Blanco), au moins en terme de vision pessimiste de ce monde latino-américain complexe écartelé entre ses différentes vérités.


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Bea_Dls
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le 16 juin 2019

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Bea Dls

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