Triangle par TheScreenAddict
Il y a quelque chose de pourri au royaume de la distribution cinématographique française. Alors que l'on nous sert allègrement sur grand écran d'immondes plats sans saveur, tels que les navets de Dominic Sena (Whiteout, Le Dernier des Templiers) ou le plus récent Colombiana, dont l'ambition audio visuelle ne dépasse pas celle d'un médiocre téléfilm du vendredi soir, les distributeurs français font désormais trop souvent l'impasse sur de petits miracles de cinéma, qu'on aimerait pouvoir déguster à leur juste mesure, c'est-à-dire dans nos chères salles obscures, mais qu'on ne peut malheureusement découvrir qu'en vidéo. Comme de trop nombreux films passés sous silence, Triangle, de Christopher Smith, est sorti chez nous le 14 juin dernier, directement en DVD et Blu-Ray. Une honte absolue, car il s'agit d'un véritable bijou d'écriture, doublé d'une leçon magistrale de mise en scène. Un modèle de cinéma fantastique.
Maîtrisé du premier au dernier plan, Triangle suit les mésaventures d'un groupe de naufragés trouvant refuge à bord d'un paquebot fantôme, qui devient bien vite le théâtre terrifiant d'un long cauchemar défiant les lois de la réalité. Construit sur le principe vertigineux du miroir dans le miroir, comme l'annonce l'affiche symétrique du film, le scénario tout entier, modèle d'efficacité dramatique, est une spirale vicieuse, une boucle infernale sans début ni fin, qui happe le spectateur pour ne plus le lâcher. Prisonniers d'un tourbillon d'horreur, les personnages nous entraînent au plus profond de leurs peurs. Plus particulièrement la protagoniste, incarnée par la fébrile Melissa George, désarmante en mère brisée, hantée jusqu'à la folie par le remord et la culpabilité. Elle porte sur ses épaules tremblantes le principe même du film, terriblement déstabilisant, à savoir celui du miroir, débouchant subtilement sur une réflexion autour de la notion d'image. Image de soi, images des autres, images du réel, du monde, de la conscience ou de l'inconscience.
Forgé dans une matière picturale d'une puissance d'évocation dévastatrice, Triangle marque ainsi un retour aux sources franchement salvateur, le retour à un cinéma pur, viscéral, aussi passionnant que passionné. Christopher Smith, cinéaste honteusement sous-estimé, nous fait partager son univers résolument visuel avec une énergie et une générosité formidables, galvanisé par la seule notion de plaisir. Plaisir d'une intrigue pétrie de mystères, où l'on aime venir perdre ses repères, plaisir d'une facture audio visuelle qui se venge de son manque de moyens par une inventivité et une audace réjouissantes, plaisir d'un jeu de massacre où les apparences sont toujours trompeuses, plaisir de se faire manipuler, de se faire mener en bateau. Mais plaisir troublé, fissuré, grinçant, à travers l'image que le film renvoie de nous-mêmes, dans son exploration des instincts contrariés, face à une situation extrême. Conte fantastique aux frontières de l'apologue, couronné par un twist effrayant, Triangle est une perle rare du cinéma de genre, en même temps qu'un objet de fascination, un maelström d'images hantées qui ne souffrira aucunement de multiples visions, bien au contraire !