Présenté durant la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, Trois souvenirs de ma jeunesse est un préquelle à Comment je me suis Disputé… (ma Vie Sexuelle). Cependant, nul besoin d’avoir vu l’opus précédent pour pouvoir apprécier le onzième long-métrage de Arnaud Desplechin. On retrouve le personnage de Paul Dédalus (Mathieu Almaric tout en sobriété) qui de retour en France, après des années passées en Asie Centrale dans le cadre de sa profession d’ethnologue, se remémore des bribes de son passé, de ce qui l’a forgé en tant qu’homme. Il se souvient surtout d’Esther, son premier et unique amour.


Arnaud Desplechin n’est pas connu pour la simplicité de ses scénarios et rois souvenirs de ma jeunesse ne déroge pas à la règle. Son cinéma garde toujours ce format un peu déstructuré avec de nombreux flashbacks comme dans Jimmy P., son précédent film. Les fragments d’histoire semblent reconstitués un peu au hasard mais ils finissent par former un ensemble cohérent.
Découpé en trois chapitres très inégaux (les deux premiers durent à peine une demi-heure au total), le film prend le temps de présenter son héros dans les deux premiers, de montrer sa naïveté, son innocence, son humour parfois teinté d’amertume, d’en faire un jeune garçon attachant tout simplement.


Le réalisateur nous fait rentrer dans le récit par petites touches. Mais dès qu’on aperçoit Esther, la manière dont Paul la regarde, la façon dont il la dévore des yeux, on se laisse happer par cette histoire d’amour. Esther est loin d’être une beauté, et pourtant elle magnétise le regard, celui de Paul mais aussi le nôtre. La relation ambivalente entre les deux jeunes adolescents est exploitée comme rarement au cinéma. Alliage de tendresse et d’infidélités assumées, le couple se consume dans le feu de la passion, tout en gardant son amour intact comme au premier jour.


Séparés et se voyant peu (Esther est encore au lycée à Roubaix tandis que Paul suit des études d’anthropologie à Paris) leur amour est mis à mal. Ils communiquent par écrit, au téléphone, en permanence. Esther, jeune adolescente fragile et névrosée ne supporte pas cette séparation et se replie sur elle-même ou trompe Paul pour passer le temps et le punir, ne retrouvant la joie de vivre qu’en sa présence. Mais comme dira Bob son cousin, “Elle n’aime que toi”, il le sait, elle le sait et pourtant inexorablement tout devient plus compliqué.


Le réalisateur roubaisien fait le portrait d’un amour obsessionnel, destructeur mais terriblement sincère. Tous ces petits regards, ces dialogues, les moments de joie, d’abandon, de souffrance, il les filme avec une aisance qui laisse rêveur. Il se focalise sur les personnages, leurs émotions, leur démarche, leurs paroles, leur vagabondage, il nous dévoile les facettes les plus intimes de leur personnalité et les met à nu devant sa caméra. A ce titre, la prestation des deux jeunes acteurs est à couper le souffle. Quentin Dolmaire et Lou Roy-Lecollinet sont tout simplement exceptionnels. Il est réservé et tendre, elle est fière et cassante, mais quand ils sont ensemble, leurs personnalités respectives s’effacent et se fondent dans une complicité passionnelle et charnelle d’une sensualité exquise. Dans l’esprit, ça rappelle la sublime Balade Sauvage de Terrence Malick et la tendresse sauvage entre Sissy Spacek et Martin Sheen.


Arnaud Desplechin est décidément un réalisateur peu ordinaire. Alors qu’on pensait avoir tout vu avec lui après les excellents Esther Kahn et Léo en jouant “dans la Compagnie des Hommes”, son cinéma parvient encore à nous surprendre. Trois souvenirs de ma jeunesse, c’est l’histoire d’un amour sincère, à fleur de peau, comme on a trop peu l’habitude de voir. On en redemande !

Paul_Gaspar
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le 13 avr. 2021

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Paul_Gaspar

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