un Desplechin raté est encore bien meilleur que la plupart du cinéma français

Desplechin, c’est notre petit frère. Le petit frère qu’on aime même quand il fait des conneries, même quand il est un peu moins bon que d’habitude. On pourrait croire que c’est le cas aujourd’hui avec Trois Souvenirs de Ma Jeunesse, la troisième partie de la chronique autobiographique foutraque (et non planifiée) qui comprend également Le Conte de Noël et Comment Je Me Suis Disputé… (Ma Vie Sexuelle), le tout dans le plus parfait désordre chronologique.


Si c’est un peu moins bien que Le Conte de Noël, c’est peut-être que celui-ci était parfait. Mais nous nous replongeons avec plaisir dans le Roubaix natal du réalisateur et acceptons volontiers d’entrer à nouveau dans son jeu qui consiste – comme dans nos Pif gadget d’antan – à relier les points entre eux, pour découvrir le dessin final, le portrait de Pif ou d’Hercule, ou une soucoupe volante.


Ici, les points sont des personnages, et on se met à reconstituer des chronologies, des analogies : l’Esther de Comment Je Me Suis Disputé… (Ma Vie Sexuelle), jouée par Emmanuelle Devos, ça serait la même Esther que celle interprétée par Lou Roy-Lecollinet dans Trois Souvenirs ? Tout en sachant que Desplechin a aussi fait un film en costumes, Esther Kahn ? Et Henry Vuillard du Conte de Noël, c’est Paul Dedalus, en fait ? C’est pour ça qu’il est cinglé ?


Mais le plus malin, dans tout ça, c’est que Desplechin s’en contrefout totalement ; il avait un vieux puzzle, et il a jeté les pièces sur le tapis persan du salon roubaisien. A vous de faire le tri dans cette fratrie suicidaire, ces parents dysfonctionnels, les amis qui restent à Roubaix et le héros qui monte à Paris et qui deviendra quelqu’un d’autre. Ce quelqu’un d’autre, c’est évidemment Paul Dédalus, l’alter ego joycien de Desplechin, Mathieu Amalric lui-même. Mais aussi maintenant Quentin Dolmaire, acteur débutant, extraordinaire dans une imitation à crouler de rire de son illustre prédécesseur… Dès lors, rassembler les pièces de puzzle n’a aucun sens, sauf pour rigoler. Et on se jette avec délectation dans cet exercice…


Dans Trois Souvenirs, Desplechin se joue à la perfection des styles et des genres (dans le double sens de les éviter et de les interpréter). Capable d’enchaîner dans le même film un mini-roman d’espionnage façon John le Carré (avec un excellent André Dussollier) puis de passer au mélo tragique en revenant par le Truffaut d’Antoine Doisnel avec sa reconstitution millimétrée de nos eighties (Ford Taurus, mobylette, clopes et filles en pantalons corsaire…)


Cela posé, comme pour les frères Coen, un Desplechin raté est encore bien meilleur que la plupart du cinéma français. Et à vrai dire, l’on se prête à rêver d’une série en douze épisodes sur la famille Desplechin…


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ludovico
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le 14 févr. 2016

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