Toujours assigné à résidence en Iran, et donc absent de Cannes tout comme le russe Kirill Serebrennikov lui aussi en compétition officielle, Jafar Panahi revient avec un film témoignage. Rappelant Taxi Téhéran, Trois visages prend comme point d’ancrage une voiture, celle de Panahi qui joue son propre rôle. Appelé à l’aide par son amie la célèbre actrice Benhaz Jafari, il part sur les routes sinueuses des montages du Nord du pays à la recherche de Marziyeh, jeune fille qui se serait suicidée…


Iran : état des lieux


Faisant une force de ses moyens limités – rappelons que Panahi est interdit de tournage en Iran –, le cinéaste dresse un portrait quasi documentaire de son pays. Après un périple qui aura vu son amie entrer dans une période de doute intense à propos de la véracité de la vidéo envoyée par Marziyeh, les deux artistes arrivent aux abords du village de la jeune fille. Ils font la rencontre des gens du coin, pour lesquels la tradition compte plus que tout. Les premiers échanges sont d’une légèreté bienvenue, pleins d’humour – ah, ce vieux monsieur aux coups de klaxon ! – mais dès que le duo d’artistes citadins annonce la raison de sa venue, les relations se tendent : quand une actrice de télé connue se rend chez eux, c’est pour rencontrer celle que les villageois considèrent comme une petite écervelée ! Panahi dépeint avec finesse l’étendue du fossé qui sépare ceux qui vivent repliés sur leurs traditions dans leurs petits villages et ceux qui ont pu accéder à la liberté de choisir leur vie. Car si Marziyeh a envoyé une vidéo à celle qu’elle appelle respectueusement Mme Jafari tout en l’accusant de n’avoir rien fait pour elle, c’est que la jeune fille est empêchée par sa famille de rentrer au conservatoire. Quelle échappatoire pour elle alors si ce n’est de tenter le tout pour le tout, non en se donnant la mort mais en se débrouillant pour faire venir ici, au village, cette femme à l’influence incontestable ?


Trois femmes


Évoquant en creux son propre statut de citoyen contraint d’exercer son art en cachette, Panahi fait preuve de toute la délicatesse qu’on lui connaît pour esquisser la belle relation qui se dessine entre les deux femmes, deux actrices dont le futur de l’une dépend de la renommée de l’autre. Sans l’aide de son illustre aînée, Marziyeh craint de finir emprisonnée dans une vie dont elle ne veut pas, mariée de force à un villageois. Pour faire comprendre aux siens que le métier de saltimbanque, comme ils l’appellent, n’a rien de dégradant, elle se bat et n’abandonne jamais. Elle sait qu’elle peut y arriver, accompagnée dans son fol espoir par Jafari, mais aussi une actrice célèbre dans les années 1970 – avant donc la révolution islamique de 1979 – qui vit aujourd’hui retirée dans une petite maison à l’orée du village. Sa pugnacité provoque des confrontations violentes jusqu’à ce que le dialogue et la compréhension fassent leur chemin. Tous ne sont certes pas capables de cette empathie, mais tant qu’une poignée de personnes y parvient, tout n’est pas perdu semble nous dire Panahi.
Un film aux accents résolument kiarostamiens, qui se termine par un sublime plan porteur d’espoir pour nos "personnages", mais espérons-le également pour les Iraniens.


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le 21 mai 2018

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