Un coup de cœur, pratiquement un coup de foudre pour ce film, ce grand et beau film, ses excellents acteurs, ses magnifiques paysages, son histoire, poétique, tendre et dure à la fois, ses différents niveaux de lecture, sa sublime photo, et cette lumière ! Comment qu'il capte les rayons de lumière ! Comment qu'elle est restituée sur la pellicule ! Elle traverse les maisons, les personnages, leurs yeux et leurs âmes puis sa musique, tout est musique, elle est en osmose totale avec le déroulement de l'action. Une action contemplative, si, si, au suspense qui va en grandissant à mesure que le film déroule et coule telle l'eau du Nil qui traverse de désertiques paysages, pourtant si riches et chargés d'Histoire, d'émotions et d'actions. Pour un premier film, Amjad Abu Alala signe un coup de Maître. C'est dingue ! Quel talent ! On croirait un vieux briscard rompu à toutes les techniques et ruses du septième art. Je le cite :



"Mon film est une invitation à être libre. Rien ni personne ne peut
vous dire voici votre destin, il est écrit quelque part. C'est à vous
de décider ce que sera votre vie"



J'ajouterai : c'est à nous d'écrire notre propre histoire. C'est à nous d'écrire notre propre scénario pour pouvoir dire à la fin : ma vie a été assez riche pour en faire un film.
Revenons à "Tu mourras à 20 ans" où la religion est omniprésente dans tous les actes de la vie des personnages, et là aussi, une fois encore, c'est à nous d'inventer notre propre religion hors des dogmes officiels, hors des lourdes traditions ancestrales qui sclérosent les esprits et les corps.


Cette religion qui condamne Muzamil à mourir à 20 ans. C'est ainsi qu'il consacrera ce qui devrait être une courte vie à apprendre et lire le Coran. La belle Naima essaiera bien de le réveiller à travers un amour qui restera platonique. C'est Sulaiman le jouisseur et jouissif Sulaiman, amoureux de cinéma, voyageur, buveur, fumeur et coucheur, qui a croqué et croque encore la vie à pleine dents qui prendra la place de Muzamil dans la tombe que ses parents lui avaient réservée. Sulaiman qui quelque part s'offre ainsi en sacrifice en lieu et place du jeune homme le jour de son vingtième anniversaire, le jour fatidique dont Sakina, sa mère attendait la venue en gravant les jours sur un mur dans un coin sombre de sa maison. Un mot ici pour souligner la beauté de ces maisons africaines faites de terre et parfois aussi de tôles où le tissu des rideaux qui délimitent les différentes pièces sont de fins voiles qui unissent plus qu'ils ne séparent. Les jours donc que Sakina gravait dans la terre des murs qu'elle aspergera de peinture noire comme Sulaiman aspergea la page blanche de l'encre de sa plume. Puissante allégorie qui dit tu étais mort maintenant tu dois vivre, écris ta vie, remplis la page qui t'es accordée. Sulaiman a vécu aujourd'hui il meurt. Un échange élégant et désintéressé au delà du temps et de l'espace.
"Tu mourras à 20 ans" est emplie de présence féminine, de la profondeur des portraits de Sakina avec ses regards et expressions qui nous transpercent, aux tenues colorées des autres femmes du village en passant par les transes psychotiques, sortes de cérémonials rythmés par les tambourins aux sons envoûtants en opposition aux transes masculines des derviches soufis.
Les animaux ont également leur place dans le film. Le lapin blanc du sacrifice (tiens un white rabbit) et le cheval qui annonce à Muzamil ça y est tu viens de mourir maintenant tu peux vivre et découvrir le monde, la vie et ses charmes.Le cadavre du buffle en décomposition du tout début. Le début c'est la mort, la fin c'est la vie, quand notre jeune héros court après un vieux camion bleu brinquebalant. Tout le film il est resté immobile, même quand il bougeait il était pétrifié. Il découvre l'amour avec la femme de celui qui a pris sa place pour le pire, lui prenant la sienne pour le meilleur. Toujours cet échange, ce parallèle entre les deux hommes. Il découvre donc l'amour, l'amour physique, il découvre ainsi la vie, il entrevoit tout ce que cette dernière peut lui offrir. Il oublie son ancienne immobilité et se met à courir, courir et courir encore. D'ailleurs aux dernières nouvelles parait qu'il court toujours


Une ode à la vie dans cette Afrique ravagée et meurtrie. Une ode à l'Afrique pour toutes ces vies volées et saccagées. Afrique lève toi ! Marche, court, vole et régale nous encore.

Daziel
9
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le 21 févr. 2020

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Daziel

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