Il y a un peu plus d’un quart de siècle, la conclusion de Twin Peaks laissait un goût doux-amer en bouche : à mi-chemin entre le cliffhanger remuant et le tomber de rideau abrupt, de nombreuses questions restant sans réponses, ce dénouement n’offrait que peu de clés de compréhension, biais ne pouvant qu’ériger une hypothétique troisième saison au rang de nécessité absolue.
Mais que nenni, dans un premier temps tout du moins, Lynch signant le film Fire Walk with Me : un objet étayant la singularité trans-médium du show, et que l’on imaginait à même (qui sait) d’épancher au mieux l’attente frustrée d’amateurs déconfits. Pure spéculation en l’état, mon visionnage récent et d’un seul tenant de Twin Peaks m’évitant pareille épreuve, et même un semblant de doute convenant d’être formulé : car si l’on pouvait exiger, si ce n’est espérer, des réponses de la part du présent long-métrage, celui-ci aurait davantage pour propension de poser de nouvelles questions.
La « réception » de cet objet tout aussi saugrenu que son aîné télévisuel est alors des plus paradoxales, Fire Walk with Me exacerbant un tel potentiel déroutant mais non sans charmer… de façon insidieuse ; il y a bien sûr les ponts le liant à la série, raccords que le spectateur ne peut que prendre plaisir à appréhender, mais le film a pour réel mérite d’instaurer une atmosphère à même de nous happer en son sein. Son étiquette de « préquel », à contre-courant d’une suite tant désirée, constitue pour sa part une incursion intrigante dans un quotidien en passe d’être chamboulé : mais, dans les faits, le démarrage se voudra quelque peu poussif, premier constat d’une myriade de nuances à venir.
L’enquête du très survolé Desmond peine en ce sens à convaincre, la signature froide à souhait de l’affaire Theresa Banks contrastant de milles feux avec celle du Twin Peaks « futur » ; le film délaisse donc l’essence « soap » de ce dernier au profit d’une plongée morose en deux temps. Les allées et venues des agents du FBI, le suscité, Cooper ou encore l’énigmatique Phillip Jeffries confinent à la circonspection, Fire Walk with Me paraissant nous agiter sous le nez un voile confusant à l’excès, mystères en pagaille et enchevêtrement d’interrogations s’ajoutant à l’appréhension, malmenée, des événements.
Au terme d’une transition opaque, le second « temps » du long-métrage s’arque autour du quotidien, final, d’une Laura Palmer frisant l’antipathie - il faut dire que la bougresse passe son temps à hurler pour un rien. Comme à son habitude, Lynch tire sur la corde de l’excès, mais l’ambiance inquiétante de ce thriller bel et bien fantastique a tôt fait de virer à l’épouvante : un glissement inextricable conférant au tout une certaine légitimité, l’effet étant d’autant plus des plus grisants - si ce n’est crispant.
Si Fire Walk with Me n’embrasse en aucune façon le rôle de prisme révélateur, bien au contraire, force est de constater qu’il parvient à mettre en relief nombre de pistes à l’origine propres au show TV, et qu’à son image un ou plusieurs visionnages supplémentaires ne seraient pas de trop ; en parallèle, sa production peu aisée, notamment en termes de casting, pourrait en partie expliquer ses quelques errements, mais ces derniers ne sauraient occulter un réel parti-pris, David Lynch optant pour un jusqu’au-boutisme à double-tranchant - et si le film tranche à juste titre avec le format cathodique au titre de leurs atmosphères respectives, il n’en demeure donc pas moins complémentaire.
In fine, nul doute que cette œuvre, un poil mésestimée, pose un défi de compréhension n’ayant d’égal que le degré d’interprétation qu’elle nous offre, un état de fait définitivement indissociable de Twin Peaks.