Ultranova est le premier film d'un réalisateur Belge, inconnu jusqu'à présent de nos yeux en plein apprentissage cinématographique. Le dit Bouli Lanners, créateur d'un film qui sortira très prochainement, Les Premiers, les Derniers, que je n'ai donc pas vu.


A la manière d'Asphalte de Samuel Benchetrit, Ultranova dresse sans prétention aucune, le portrait d'une vie engloutie dans la grisaille de l'existence. C'est un film petit, humble, modeste, enfoui dans son intérieur comme ces personnages : êtres humains à la timidité maladive, touchants, maladroits, parfois pitoyables ou un peu ridicules dans leur façon d'être au monde, mais toujours justes, attendrissants, drôles parfois.
C'est un morceau d'existence, juste, humain, criant de simplicité, de poésie, de vie.


Pourtant lorsque le film commence, tout semble désuet, presque surjoué, caricatural ou ringuard. Mais non. La poésie s'installe. La poésie des paysages d'une platitude inégalable, du ciel toujours gris, des peaux, de l'image, toujours poussiéreuse, pâle, naturaliste, triste, comme si tout le poids de l’accablement de chaque êtres humains se répercutait jusque dans les viscères des images, esthétique blafarde, maladive, grise, fatiguée.
Une poésie encore, qui s'inscrit dans la lenteur des images, des plans fixes qui restent ainsi dans le vague, contemplant des paysages déserts d'un plat pays, comme Brel le chantait, l’acclamait, le criait.


Ultranova, c'est le portrait d'individus qui vivent et qui se croisent, dans une cité déserte, sans vie, à la manière encore d'Asphalte. Vie grise, à l'image de ce plat pays, de ces accents qui tranchent avec la poésie de tout un film.
Mais là où le film déploie son excellence, c'est lorsqu'il dresse avec finesse, justesse, délicatesse, l’accablement du poids de l'existence, l'accablement de chaque individualités qui se tiennent entières avec toutes leurs failles, tentant alors de ne pas défaillir, tentant alors de ne pas s'écrouler, de ne pas s'affaler à terre comme des mouches, jusqu'à devenir aussi plat que ces paysages désertiques et mornes qui se serpentent durant l'intégralité d'un film.


Un groupe de trois hommes, conditionnés à travailler ensemble dans l'immobilier. Deux femmes dont le boulot consiste à emballer des meubles. C'est une vie morne, plate. C'est une vie dont personne n'attend rien, qui flotte sans chair, sans idéaux, sans âme, morne, comme tout le reste. C'est une vie à vide, à blanc, dans l'attente d'un quelque chose, d'un rêve, d'un espoir. Le rêve, c'est cette poésie mélancolique qui sort des entrailles de l'image. C'est ces plans de ciel toujours gris, cette lenteur exiguë d'un monde où il ne se passe rien d'autre que l'attente d'un ailleurs. Parfois alors, vaut mieux décider d'en finir avec la vie, comme cet homme qui se suicide, de défaillance, d'écroulement, afin d'aller rejoindre la morosité des paysages, la grisaille de la terre, la platitude des champs dévastés par l'existence.


Mais lorsqu'on pourrait craindre un misérabilisme grandiloquent de la part d'un tel film, d'un tel sujet, comme on peut le voir dans maintes et maintes films français, à commencer par La Loi du marché, Ultranova est tout le contraire. Aucun misérabilisme tout du long, mais de l'attendrissement, de la poésie, de l'humanité, de la justesse. Le tout est parfois dérisoire oui, ringuard ou sordide, mais ne tombe jamais dans le pathos, dans la victimisation des choses, des êtres, des événements.


Il n'y a qu'à voir ensuite cette scène presque dérisoire, sordide, toute petite au milieu du monde, remplie d'une justesse exquise, touchante jusqu'au bout des os :
Il y a cet homme qu'on pourrait prendre comme personnage principal, d'une timidité plus que maladive, extrapolée jusqu'à la moelle, touchant et un peu ridicule. Dans un centre commercial, il croise ses parents qu'il n'a pas vu depuis des éternités. Les trois individus sont là, à la terrasse d'un café, et ils se regardent du coin des yeux, tous les trois tout aussi timide, discrets, introvertis. Tout du long le père ne dit rien, et ne cesse de regarder son fils avec des yeux comme des perles d'or, un sourire un peu ridicule, touchant, magique. La mère parle, le fils écoute. Il y a ces trois sourires qui accompagnent la scène, ces trois regards, ces trois comportements absolument similaires les uns des autres : timides, leur ridicules sourires emplissant le cadrage, la fraîcheur d'une scène, la candeur de trois êtres aussi timides que la lune qui posent leur vie à pas de fourmi, aussi précieusement que des pâtes de mouches.


Et puis cette musique qui jaillit tout du long, d'une rare perfection pour un film aussi mince, aussi petit, aussi désuet, aussi fauché. Mine de rien, le joyaux qu'est Ultranova déploie ça et là une poésie grandiloquente, triste, d'une mélancolie profonde, sans nom, accompagnée d'une musique qui anéantie tout sur son passage, propulsant les images fixes d'une beauté sans nom.


Le sentiment que nous procure Ultranova à sa toute fin n'est pas celui de la noirceur, du gouffre, de l’inéluctable. C'est celui d'une mélancolie profonde, viscérale. Celui d'une poésie sans nom qui rentre dans chaque pores de chaque peaux. Celui d'un réalisateur à découvrir, coûte que coûte. Celui d'une simplicité dévastatrice. L'ébranlement est alors là : dans la simplicité du minuscule de l'existence, ces bouts de rien imperceptibles, mais pourtant là, vacillant, chancelant, vivant.

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le 17 janv. 2016

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