« Un Français ». J’ai vu ce film hier soir via la VOD, puisque peu d’exploitants de cinéma ont accepté de le mettre à l’affiche. La faute à la campagne de haine orchestrée par les mouvements extrémistes ? Peut-être, cela dit ce n’est pas la première fois que le courage n’étouffe pas les distributeurs et propriétaires de salle… Une fois les films sortis des avant-premières de Cannes et de ses apéros et afters…
Quoi qu’il en soit, « Un Français » est loin d’être un mauvais film. Il y a juste un flottement à sa fin, puisque l’on ne sait pas tout de suite ce qu’il faut décoder exactement. Marco est-il devenu un type bien ? A-t-il effectué une rédemption ? Certains critiques et avis évoquaient un parallèle avec
« American History X » ; à mon sens, il n’y en a pas. Marco n’est pas plongé dans un environnement hostile où il va devoir en rabattre et comprendre autrement le monde, comme le personnage de Derek quand il est incarcéré. « Un Français », dans les 5 premières minutes du film nous annonce la couleur : un panneau « Sans issue » trône dans la chambre de Marco. Il y a aussi un père malade, alcoolique, qui se pisse dessus et dont Marco ne supporte plus la défaillance. Sa famille, ce sont ses potes du quartier, dont la seule activité est une forme de militance d’extrême-droite. Et lors d’une séance de collage d’affiches, on va vite entrer dans le cœur du débat avec un affrontement contre des Redskins. Là il faut faire un arrêt sur image, car « Un Français » est un film « historique », dans le sens où il démarre au milieu des années 80 pour se finir à notre époque. Les années 80 sont une époque particulière (et j’ai baigné dedans) qui voit l’ultralibéralisme arriver par le Channel est la politique de la Dame de Fer. C’est l’époque punk (la vraie, pas le substitut que j’aperçois parfois aujourd’hui dans les boutiques branchées…), et sur les platines résonnent les Clash, les Sex Pistols, les Ramones ; c’est le mouvement Oi ! , clameur qui ponctue les chants quasi guerriers dans la rue et les caves à sons des squats prolétaires. Il y aura rapidement une scission dans le mouvement, quand les Skinheads s’engageront ouvertement dans le mouvement hooliganisme et dans des campagnes d’extrême-droite. En France, la même scission apparait, et c’est en créant un service d’ordre autour des concerts des Béruriers Noirs que le mouvement Redskins apparait chez nous. A Paris bien sûr, mais également dans les grandes villes de province, comme Nancy. A l’époque, tout ce qui se passe dans les rues vient principalement de la scène punk et des concerts sauvages organisés à l’arrache. Et la rue est également le théâtre de l’affrontement parfois très violent entre skinheads et redskins. Le code vestimentaire permet d’identifier rapidement qui est qui. Bombers retournés contre rangers aux lacets blancs… Majeur dressé de l’antifasciste contre le salut nazi… Ce fut une époque dangereuse et violente. Ceux qui trainaient le soir dans les rues savaient que cette violence pouvait surgir à tout moment. Que ce soit les Redskins ou les punks autonomes, beaucoup répondirent présent au grand mouvement « Touche pas à mon pote ». Un mouvement quasi spontané suite aux ratonnades et fait-divers racistes qui devenaient de plus en plus fréquents. J’ai encore des photos de cette époque, quel bordel !
Marco et ses potes sont donc du côté de la haine. Le chômage, l’absence d’identité, des discours pseudo intellectuels, il n’en fallait pas plus pour des jeunes pas idiots, mais laissés livrés à eux-mêmes sans adultes pour les accompagner dans d’autres voies pour se perdre facilement dans une illusion d’esprit de corps et de famille. Et puis face à ces cultures étrangères qui débarquent et tentent de trouver une place, ils ne savent pratiquer que le rejet qui leur donne un sentiment de toute puissance, jusqu’à donner la mort. Il faudra du temps à Marco pour comprendre qu’il n’est pas sur le bon chemin. Il faudra que celui qu’il insulte dans un bus préfère se retirer avec la dignité que lui n’a pas. Il faudra le regard d’une française dans ce bus pour que la crise éclate, une vraie crise de panique qui l’amène aux portes d’une pharmacie, salvatrice à bien des égards.
Marco va trouver petit à petit le chemin vers un autre monde. J’aurais pu écrire un monde meilleur, mais il n’existe pas, il n’y a que la misère, et les marques d’un passé qu’un toubib résume, tristement, à des « conneries de jeunesse ». Pourquoi Marco ne veut-il pas effacer ce passé ? Pourquoi reste t-il en relation avec ses anciens amis, dont certains le considèrent comme un traitre ? Sa femme l’a quitté, emportant sa fille dans ce délire de haine sur fond de catholicisme. Il n’y a plus personne autour de lui. Et c’est là que le film s’arrête.
« Un Français » est un film témoignage. Il n’explique rien, il ne juge pas, il ne révèle pas, il témoigne, c’est tout. Il n’annonce pas le futur, il n’éclaire que le passé et ses illusions. Brillamment joué par Alban Lenoir tout en haine et en rage intérieure, « Un Français » mérite que l’on si attarde, parce qu’il nous tend un miroir ; celui de la démission des adultes et de la société perdus dans des discours idéologiques manichéens loin des rues et de la misère. Laissant les mômes de l’époque perdre leur innocence. Si « Un Français » est proche d’un autre film, c’est de « This in England » de Shane Meadows que je vous recommande également.