L’impossible sublimation d’un coeur glacé

Voilà un film d’amour qui, loin de nous entrainer dans les méandres vus et revus du romantisme, donne une vision pessimiste des relations à sens unique. Souffrance et désillusion sont les maître-mots du chef-d’oeuvre de Claude Sautet, sur fond de violon pour étayer et amplifier les sentiments - quand il y en a.


Camille (magnifiquement interprétée par Emmanuelle Béart) est belle, talentueuse, rare. Violoniste qui plus est, elle s’exprime grâce à un instrument puissant dont les notes dépassent les mots. Maxime (André Dussolier) travaille dans un atelier de lutherie et s’éprend d’elle. Leur relation le comble de bonheur et il décide de la révéler à Stéphane (Daniel Auteuil), son ami et collègue de toujours. Jusque-là tout est est clair et le trio bien placé.


Progressivement, la tension monte entre Stéphane et Camille, comme inévitable et prévue. La haine immédiate qui nait entre les deux personnages est annonciatrice du jeu de séduction à venir, et le spectateur s’attend à un énième triangle amoureux, dont les segments se touchent et se confondent. Regards, intimité, entretiens plus longs et toujours plus discrets, il est évident que la violoniste et son luthier s’engagent dangereusement vers une pente difficilement contrôlable.


Or ce leurre crée tout le génie du film à travers le personnage de Stéphane qui interroge et déroute profondément. Camille l’aime ; lui ne l’aime pas. Comment l’expliquer ? On le sent, on le sait pourtant, il doit l’aimer. Mais comme il le dit lui même : « Ne me faites pas passer pour quelqu’un que vous voudriez que je sois ». Serait-ce un sérac inamovible et glacé, ou seulement un homme dont la peur empêche de briser ce qui ne lui appartient pas ? Oui, on attend qu’il se passe quelque chose, un dialogue, une déclaration, un remord dévoilés par une scène finale. Mais Stéphane reste glacial, impassible, et ne dit rien face à une femme tellurique, caractérielle, qui se révèle pourtant au grand jour afin de l’atteindre. La fameuse scène au restaurant est en ce sens révélatrice, lorsque tous les regards sont vissés sur eux alors qu’elle crie de douleur pendant que lui ne bouge pas.


Ainsi nous en venons au thème de la résilience amoureuse. Comment se reconstruire après avoir aimé de façon univoque ? Il n’y a en réalité aucune reconstruction, ce qui fait de l’amour un état si singulier. Telle la disparition d’un proche, on espère toute sa vie la venue d’un amour chimérique que l’on croit exister de la part de l'être tant aimé. On attendra, quoiqu’il arrive, qu’un semblant de sentiment émerge. Comme le regard final de Camille vers Stéphane, qui l’implore de lui dire « Je t’aime » par un geste ou un tressaillement. Mais rien n’y fait et le vide auquel elle fait face est éternel.


Comment donc sublimer les coeurs glacés ?

SoniaMichigan
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le 17 nov. 2019

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Sonia Michigan

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