J'ai démarré le film avec un regard faussé par le verbatim de l'affiche de la BFI. "Out-Hitchcock Hitchcock". Triste ironie pour un cinéaste qui n'a jamais pu récolter l'once de gloire de son compatriote. Et pourtant ce film montre démontre bien que si des similitudes peuvent être soulignés, Asquith semble proposer un cinéma tout à fait intéressant.


La première scène suffit à marquer le contraste qui va hanter tout le film. Celui qui oppose une délicatesse juvénile à une noirceur effervescente. Un jeu de funambuliste très minutieux qui installe une atmosphère effaçant rapidement toute la simplicité apparente de son intrigue. Asquith ne tarde d'ailleurs pas à poser rapidement les enjeux du triangle amoureux pour juguler l'attente d'un quelconque effet de suspens quant à son dénouement.


La chute d'une opportunité peut-elle se confondre avec la chute inconditionnelle d'un homme ? La manière dont le glissement s'opère entre une simple méprise et des intentions quasi criminelles est d'un naturel déconcertant. Chacune des relations est traitée beaucoup délicatesse. S'il est bien question des méandres d'une romance, celle-ci se caractérise davantage par son extrême fragilité que par sa fougue passionnelle. La constance de la pudeur, même dans les instants les plus horribles, surtout dans les instants les plus horribles, est délicieuse.


Le génie et l'éloquence de la mise en scène sont tels que l'économie des intertitres qui en découle apporte énormément d'espace à l'expression des personnages. Ainsi leur utilisation n'est plus limitée à la transmission d'informations au spectateur, mais à la régulation très fine du rythme. Et pour renforcer toujours plus le sens des images, Asquith n'hésite pas à insérer des plans furtifs dotés d'une très belle force évocatrice.


Ce n'est certainement pas hasardeux si la dimension musicale du film est également bien exploitée, sachant qu'il s'agit d'un des derniers muets britanniques. Des notes de pianos de Stephen Horne, à la frontière du diégétique et de l'extra diégétique au protagoniste malentendant utilisant un cornet.


Le moment de la bascule de la dynamique du personnage principal donne droit au passage le plus magistral. Une mise en abîme tournant autour d'une séance de cinéma (un talkie) qui synthétise l'ensemble des intentions du film. En une fraction de seconde, le film prend une multitude de nuances. Légèreté. Le rythme s'accélère frénétiquement. Dérision. Le visage des spectateurs fait totalement corps avec la musique. Frustration. Les personnages n'ont jamais été aussi physiquement proches et éloignés de leur profond désir. Colère. L'éclairage de l'écran prend des teintes stroboscopiques. Folie. Mais comme toujours, le film accorde toujours une importance à son équilibre et à la préservation son ambiguïté. Honte. Espoir.


Pour autant il serait parfaitement incorrect de résumer tout l'intérêt du film à cette scène. Rien que la splendeur de son acte final et les multiples intentions formelles toujours au service des personnages donneraient tord à quiconque se risquerait à de telles pensées.


Comment un cinéaste capable de délivrer une oeuvre aussi juste a-t-il pu sombrer dans l'oubli ?

GigaHeartz
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le 29 juil. 2017

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