Dès son deuxième film, Costa-Gavras faisait preuve d’un féroce sens de l’image. La mise en scène d’un homme en trop est mue par une ambition farouche et un savoir-faire à sa hauteur. Qu’il s’agisse d’illustrer l’enfermement des hommes, dans un maquis coupé du monde, ou l’atrocité d’une guerre sans merci qui fait tomber les corps sans discontinuer, ses placements de caméra sont étonnants de justesse. Une justesse qui trouve son apogée dans l’ingéniosité qu’il déploie pour s’approprier l’espace. Une séquence en particulier l’illustre bien : sur une même route, un camion de résistants en fuite esquive de justesse une troupe allemande qui arrive à contre-sens. La caméra suit dans un premier temps le camion des fuyards, puis elle quitte progressivement ces derniers pour finir sa course au sommet de la colline qu’ils viennent de franchir, pour proposer un point de vue très parlant de la scène. Une séquence furtive, qui ne paye pas de mine, et pourtant elle témoigne, à mon sens, d’une force de proposition caméra en main typique du cinéma de Costa-Gavras.


Cela étant dit, un homme en trop est bien plus qu’un chouette coup d’oeil. Rares sont les films sur la résistance qui illustrent tour à tour les différents camps qui se sont livrés bataille dans la France occupée. Résistants forcément, mais pas seulement : il est aussi ici question des milices qui enrôlaient de jeunes français à grand coup de discours populistes (le sort du milicien d’à peine 20 ans, qui hèle sa chère mère avant de rendre son dernier souffle, après avoir expliqué qu’il avait rejoint le rang des collabos parce qu’on lui avait présenté cela comme l’avenir de la France, fout la chair de poule), mais aussi des militaires français qui faisaient le sale boulot des allemands en zigouillant du résistant avec le sourire —le portrait du chef de file du commando sans scrupule manque par contre un peu de subtilité —.


Pas évident, quand on veut passer en revue autant de personnages, de tout encadrer avec le même panache. Et il est bien dommage que le protagoniste en pâtisse. Piccoli l’anguille —toujours exceptionnel avec son phrasé naturel bien à lui—, l’homme dont tout le monde doute : apathique, bien décidé à ne pas choisir son camp, peut-il seulement être laissé tranquille par les deux forces en présence alors qu’il ne peut montrer patte blanche à aucune ?
Il est regrettable que le personnage ne soit pas fouillé davantage, que les scènes choisies, pour dessiner le mystère entourant son rôle sur l’échiquier, ne soient pas toujours pertinentes. Certaines donnent même l’impression d’être précipitées, simplement là pour continuer à tisser le fil rouge qui contextualise le combat des résistants emmenés par un Bruno Cremer digne.


Mais on pardonne aisément à Costa-Gavras cette caractérisation un brin poussive tant elle est compensée par son envie d’inonder son récit d’informations. Même si l’on a du mal à réellement saisir l’enjeu du coin farouchement gardé par ses protégés, la gravité de la situation, et plus globalement, de la guerre dans son ensemble, est plus que palpable.


A l’image de sa fin suffocante en diable, Un homme en trop prend bien garde à ne pas dresser un portrait trop héroïque de la résistance. Que ce soit par l’intermédiaire des dialogues, ou bien des attitudes de ses acteurs, Costa-Gavras évite de traiter l’occupation de façon binaire. J’ai personnellement apprécié la nuance qu’il apporte à son face-à-face multiple résistant-occupant-collaborateur-fuyard même s’il finit dans un bain de sang qui ne laisse aucun doute quand à la noblesse de leurs combats respectifs.




Quelques captures du film ici :)

oso
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le 1 juin 2017

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