L'art de bien nettoyer sa racaille
Drôle de film quand même que ce pavé dans la mare jeté au beau milieu des années 70. À la fois pamphlet rentre-dedans pour dénoncer une société gangrénée par la violence, peinture acerbe d’une ville devenue un véritable coupe-gorge, plaidoyer pour donner des moyens plus importants à une police dépassée, portrait d’un homme en détresse rongé par la colère, arguments multiples visant à justifier l’auto-défense, le résultat a, et on le comprend, provoqué un véritable scandale à sa sortie. Le propos n’est pas anodin et il est même totalement militant. Il faut nettoyer New-York (et le pays tout entier comme l’indique sa fin peu équivoque) de sa racaille par tous les moyens car les braves gens (et on les comprend tout à fait) vont finir par se faire justice eux-mêmes. Winner n'y va pas avec le dessous de la cuillère mais le tout est quand même soigneusement emballé (même si le récit est, bien entendu, rempli de clichés et d'excès).
Catalogué par la suite comme le justicier bourrin de service (en raison surtout des suites toujours plus excessives données à ce film), Charles Bronson est ici parfait et son rôle est beaucoup plus subtil que ce qu’on a pu en retenir. Paul Kersey, c’est un mec tranquille, plutôt aux idées progressistes, antimilitariste, humaniste (bon, d'accord, c'est peut-être un peu excessif) qui perd pied quand sa femme et sa fille sont agressées. Il noie son chagrin, sa détresse et sa colère dans une vendetta contre la racaille qui gangrène son quartier et sa ville en se révélant un véritable pistolero. Mais le film ne bascule pas bêtement dans la réaction excessive de son personnage. Il évolue tranquillement, ce qui permet de brosser un portrait plutôt complexe de ce justicier improvisé (qui va d'abord éprouver du dégoût face à sa propre violence jusqu’à ressentir un plaisir impossible à contenir à force d’agir).
On apprécie que l’action de Bronson ne soit pas, par ailleurs, un acte de vengeance personnel (il ne recherche jamais les coupables) mais un acte presque citoyen. On est davantage perplexe face aux soutiens (même en sous-main) politiques et policiers qui empêchent de livrer un propos plus subtil. La question de la loi étant un sujet central dans le western et (bien sûr) dans le polar américain, on regrette qu’elle ne soit pas davantage problématique ici. Le récit y aurait forcément gagné en force. Il n’empêche que ce premier « vigilante movie » cru, violent, sans concession, qu'on a facilement réduit à un ensemble réac voire fasciste, volontairement détaché d’une réelle intrigue et ne s’attachant qu’à un portrait ambigu d’un homme à la dérive, est un film coup de poing qui a posé de véritables questions de société. La preuve, New-York est aujourd’hui la ville plus sécurisée du monde. Tout sauf un hasard.
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