Qu'apporte le documentaire de David Dufresne ? Au premier abord, rien. La plupart des cas, des chocs et des moments forts du documentaire, on les a déjà vus. À maintes reprises. De plus, le journaliste n'a jamais caché ses opinions à gauche (co-fondateur de Mediapart, chroniqueur à Libération), d'où la critique assez véhémente d'une bonne partie de la caste médiatique, partie en boucle sur une rhétorique simpliste ou partisane quand peu de ses représentants peuvent prétendre au statut d'experts ou d'être simplement des personnes de bon sens.
La dissolution des rapports entre les forces de l'ordre et nombre de manifestants s'est écrite en images, captées par le moyen de nouvelles technologies et diffusées alors que le sang éclaboussait encore les pavés. Un pays qui se tient sage illustre d'abord ce changement de paradigme, à l'heure où les smartphones font mentir les versions officielles et multiplie les témoignages de cette brutale dégradation. Un rapport direct, horizontal dont les angles morts (contexte parfois flou) ne minimisent pas la puissance. Dufresne a donc opté pour un dispositif simple, asseoir des victimes, gendarmes, sociologues, historiens, avocats ou rapporteur des Nations-Unies face aux images et les écouter.
Rapidement le cœur du sujet se dessine : le rôle de la police. C'est ici que le film se révèle salvateur, invitant le spectateur à effectuer un mouvement de recul et de s'interroger sur la distorsion entre sa place originelle (au service du peuple) et sa représentation aujourd'hui (au service du pouvoir). À ce titre, la vidéo montrant un représentant de la police haranguer une manifestante en paraphrasant les invectives réacs en dit long sur son ignorance quant aux concepts de démocratie, autoritarisme ou par rapport à sa propre institution.
À partir de là, Dufresne gratte une plaie encore bien vive, la violence et sa légitimité. Sur cette partie, le documentaire cite Weber, Bourdieu ou Hannah Arendt à juste titre pour réfléchir sur l'escalade, la symbolique et ses buts (illusoires ou véritables), mais patine un peu quand il faut traiter à égalité les deux côtés. Ce n'est pas qu'Un pays qui se tient sage occulte les excès de certains manifestants, mais on a parfois l'impression qu'il minimise son occurrence. Un peu embêtant parce que cet aspect a un rôle à jouer dans le cercle vicieux de cette désagrégation. Mais d'un autre côté, il est regrettable que les hautes instances de la police aient refusé d'apporter leur concours à cette discussion car cela aurait sûrement permis de la nuancer.
Quoiqu'il en soit, il est salvateur que David Dufresne aborde les sujets que beaucoup de médias, censés informer ou éclairer les esprits, ont délibérément balayé sous le tapis. Une approche didactique nécessaire, puisqu'elle rappelle que les avancées on ne les obtient qu'après avoir pris du recul. Vu que la France a régressé au statut de "démocratie incomplète" par The Economist Group en 2011 (mentionné dans le film), il y a en a bien besoin.