On peut craindre une reconstitution de notre chère et tendre Révolution française en bon respect du roman national, en la présence de nos tronches tendances et autres "coqueluches" de notre irremplaçable cinéma français. Et il y a de ça.
L'esthétique du film, dotée d'un grand sens photographique, change la reconstitution en idéalisation. Il ne suffit pas de quelques gouttes de sang ou même d'un cadavre de nouveau-né pour prétendre au réalisme, "Le peuple a faim" étant déjà l'argument suprême à toutes les horreurs commises dans le roman national. Tous ces acteurs sont formidables, Olivier Gourmet en tête (comme d'habitude) pour tenter de donner un peu de naturel à ce phrasé théâtreux qui ajoute au fantasme historique. Le vieux français parlé à l'époque dans le Paris populaire était-il celui que l'on trouve dans les livres ? Il est probable que non, bien que je ne sois pas historien. Il faudrait sortir de cette manie de la plupart des films retraçant cette époque. C'est à tel point que le XVIIIè
siècle paraît dans nos imaginaires comme une grande pièce de théâtre avec des gens qui déclament au lieu de discuter, qui brandissent des aphorismes avant même de réfléchir.
Le cinéma ce n'est pas juste des acteurs et de la lumière. C'est aussi du rythme et du mouvement, et là, il y a des lacunes. De grosses sautes de régimes très maladroites, des facilités de mise en scène (le coup de l'acouphène dans la bataille, interminable), des scènes qui se contemplent quand elles ont dit l'essentiel en quelques secondes (cf Adele Haenel et Gaspard Ulliel au pieu).
Mais force est de constater que l'on peut prendre son pied un minimum. Quelques métaphores grossières (apprendre à souffler du verre/apprendre à être une nation) sont tout-de-même efficaces, la lourdeur se justifiant par le long et fastidieux que celle-ci exprime, et surtout très jolies. Quelques chansons sont intéressantes par l'authenticité de leurs paroles, malgré cette manie trop fréquente de les faire chuchoter en chantant approximativement pour nous hérisser le poil.
Nous sommes dans le cliché des personnages qui représentent chacun une idée, un fantasme de ce qu'était la France à cette époque, mais certains arrivent à les faire vivre. Ceux qui souffrent sont les personnages "réels", réduits à leurs phrases les plus célèbres. Mais ce film politique, en simplifiant bien trop les propos, fait de la politique. Et s'il y a bien un endroit où la tirade lourde et théâtrale devient réaliste, c'est à l'Assemblée nationale. Ces longues scènes sont l'intérêt du film, car il n'est finalement pas une reconstitution mais bien une vulgarisation de la politique naissante de l'époque. Et il ne s'agit pas de l'écriture de la Constitution, mais bien du délitement progressif du lien politique affectif d'un peuple et de son roi. L'élagage barbare de l'histoire de cette période chargée se fait à travers ce prisme. Ainsi, en dépit de la décapitation de ces débats qu'il eût été intéressant de développer, une subtilité se développe : notre fantasme historique quant à la haine du peuple envers ce con de Louis XVI est mis à mal.
Agaçant, fantasmé, gros comme les sabots qu'il utilise en métaphore, maladroit cinématographiquement, *Un peuple et son roi* a mine de rien un intérêt, celui d'apporter sa contribution à notre imaginaire collectif simpliste.