« Un prophète » marquera sans nul doute l’histoire du cinéma français. En premier par ce que le ton non polémique et presque documentaire rappelle « Le trou », le chef d’œuvre de Jacques Becker (1960). Dans la dimension tragique Audiard ajoute la conscience d’un héros malgré lui, jeune homme timoré et irréfléchi, obliger de tuer pour se faire accepter et simplement survivre. Sa victime sera également son guide, fantôme bienveillant qui disparaîtra avec la maturité assumée. Le cinéma français de ces dernières décennies nous a peu habitué à une telle densité et une telle exploration multi sociétale. En effet, les partis pris socialo bobo se résumant à la pensée unique exprimée sous forme de prêche aussi culpabilisant qu’irréaliste. Les scénaristes évitent totalement cette vision castratrice tout en prenant le soin de montrer les faits avec un réalisme certain. Bien sur c’est l’exposé des actions des clans, de leurs trafics et de la violence qui inévitablement en découle. Oui, mais c’est comme ça et c’est très bien que le petit benêt illettré, soit devenu le super caïd instruit (comment ça il a pas fait sciences po ?). L’un des moments le plus saisissant du film restera le passage devant les vitrines luxueuses des magasins prestigieux de la capitale, offrant, sans discours, un rapprochement au contraste saisissant avec le monde « d’en bas ». Mise en scène sobre et efficace, caméra sans mouvement d’esbroufe et d’une lisibilité permanente (même le difficile flingage dans le van, pourtant pas évident) soutenu par une musique décidemment toujours pertinente d’Alexandre Desplat. Ces écrins entourent un casting remarquable (et une direction d’acteur qui ne l’est pas moins), dominé par Tahar Rahim et le formidable (au sens propre) Niels Arestrup. Néanmoins je partage les remarques de Caine 78 concernant le scénario qui par moment semble hésitant, voir à l’arrêt. Sans doute un découpage raccourci d’une dizaine de minute aurait évité cela. Et jacques Audiard de passer tout près d’un chef d’œuvre.