Ce film est aussi joli que bon, un peu comme une belle bouteille achetée dans une cave de Provence. C'est drôle parce que j'ai eu la chance de le voir avec mon père et, en même temps qu'on assistait à un moment important du cinéma français, un rapport entre deux êtres se filait de manière similaire dans et devant la télévision.
J'entends par là que ce film est immédiatement devenu un souvenir tendre pour la beauté du lien entre Belmondo et Gabin: c'est une réelle passation de la passion pour la vie qui est montrée à l'écran. Alors la passation est littérale: l'ancien buveur, pris d'empathie pour le nouvel arrivant, retrouve une flamme vive de vivre grâce à la jeunesse. Mais elle est historique et philosophique également: Belmondo qui arrive dans le cinéma français, c'est s'imprégner de grands acteurs du passé avec Gabin, et pousser le cinéma dans ses retranchements avec ses rôles à venir chez Godard par exemple. Et moi, j'assiste à ce duo qui crève l'écran, à côté de mon père, et c'est juste suffisant.
À côté de ça, j'ai rien à dire que quelqu'un n'aura jamais dit sur le film mais je le dis quand même: les dialogues sont dynamiques, poétiques, au service des personnages et de la situation. Un exemple, un exemple! D'accord.
"Si quelque chose devait me manquer, ce ne serait pas le vin mais l’ivresse"
Un regret peut-être: le personnage de Suzanne Quentin n'est pas tant développé, et ça la rend creuse alors qu'elle aurait des raisons valables d'être mécontente que son mari se remette à boire. Ça me rappelle les limites du film Drunk, que l'unanimité avait moins apprécié que moi, justement, pour la débilité et le paradoxe du scénario. Si j'aimais bien dans le film de Vinterberg l'aspect jusqu'aubout-iste de la recherche (tout le monde sait que l'alcoolisme pend au nez, que la solution ne peut être qu'éphémère, vaine sur le long terme... et ils foncent quand même plutôt que s'engourdir dans la contemplation habituelle des philosophes), ici, l'alcoolémie est présentée avec plus d'impact.
On parle quand même d'un alcoolique qui arrête de boire à cause de la Seconde guerre mondiale, qui prend conscience de l'importance qu'il accorde à sa vie. Et puis on a un Belmondo malheureux, qui danse comme un espagnol de bodega pour oublier. Donc la question d'un autre verre prend son sens: le petit coup de folie qu'il procure est-il plus stratégique que la vie rangée de l'hôtelier? que la vie dérangée et dérangeante du jeune papa? Finalement, embrasser la folie, la passion, l'alcool, est-ce si mal? Ça crée de si belles anecdotes... Ça change un singe malheureux en hiver en un conteur d'histoires après tout... non?