Peut être que cette histoire de vieil homme qui sent le poids du temps sur ses épaules peut paraître léger, mais on est en plein cœur d'une thématique emblématique : le temps qui passe.
Au cœur de la guerre, Jean Gabin prend conscience que son temps de l'ivresse est passé, s'il veut vivre un peu plus longtemps en tout cas. Et puis surtout s'il veut que sa gentille femme reste avec lui. Finalement, le temps du fleuve chinois est depuis longtemps passé... Alors quoi ? Et bien alors plutôt que de ressasser le passé grâce à l'ivresse de l'alcool, il se met à boire de l'eau et rien que ça. Mais l'ivresse lui manque, celle des souvenirs, des rêves, des couleurs, des odeurs, de l'opium...
Voilà un thème cher à beaucoup de cinéastes : le temps qui passe, ce qui reste de nos vies, ce qui reste des souvenirs et ce qui reste à vivre. Henri Verneuil et Antoine Boyer ont mis en scène une histoire très littéraire, pleine de sens, écrite avec une sobriété toute poétique par Michel Audiard. Mais il s'agit surtout un appel. Celui qu'il faut faire au suivant, celui à qui il reste du temps, celui qui peut changer les choses et améliorer son existence. Gabin vit dans le passé mais surtout pas dans les regrets, et c'est une grande force du film et du personnage car à aucun moment il ne cherche à revenir sur un passé décevant.
Peut être que ce "Singe en hiver" peut paraître désuet ou vieillot, mais il dépeint avec brio la peur de l'âge qui vient peser sur les épaules des hommes dont on attend beaucoup. Loin d'être un film universel, il s'agit d'une vision très personnel de l'homme et de son temps, non pas de ce qu'il lui reste à vivre mais de ce qu'il a vécu. Et comme beaucoup d'écrivains, de penseurs et de poètes, Gabin et Belmondo partagent cet envie de vivre un rêve, un fantasme vécu ou non, qu'ils ne peuvent toucher que grâce à l'alcool. Toulouse Lautrec parlait de l'absinthe, comme Van Gogh ou Baudelaire, Ellis et Breton de drogues diverses, ici l'ivresse fait vivre ou revivre une folie masculine. Sans assister à un film macho, on est témoin d'un film d'hommes où le temps qui passe est synonyme du témoignage de celui qui va entrer dans l'hiver.
Un des TRES grands films du cinéma français.