Sous le Lac d’argent a tout d’un Alice au pays des merveilles moderne où ce serait le lapin blanc qui partirait à la recherche de la jolie blonde disparue, suivant une piste faite de miettes de biscuits hallucinogènes, de petits flacons vides et de singulières rencontres. Le « Silver Lake » est aussi un quartier ultra-branché du centre de Los Angeles où se croisent superstars et jeunes gens fauchés pleins d’espoirs, alors notre héros prend des allures d’Icare, admirant le paysage tandis que ses ailes fondues de s’être trop approchées des étoiles d’Hollywood boulevard lui promettent une rapide rencontre avec la chaussée. De l’angoisse métaphysique qui se serait mise au rétro-gaming ? Un cinéma radotant qui nous révèle après The Player et Mulholland Drive que L.A. est un cauchemar qui porte très bien le strass ? Trip nombriliste où David Robert Mitchell rend hommage à ses idoles, Hitchcock en tête, comme certains améliorent le Mojito en remplaçant l’eau gazeuse par du Toplexil : novateur mais assommant ?


Difficile à dire, on ne peut que prudemment conclure que ses 2h19 ne sont pas de tout repos. Film clivant, hué à Cannes et déjà tout autant conspué qu’adulé par une partie de son public, Under the Silver Lake mérite quand même que l’on y plonge, ne serait-ce que pour baigner dans son ambiance vénéneuse à défaut de le comprendre tout à fait.


Sam (Andrew Garfield, parfait en mec qui a l’air à côté de la plaque en permanence), 33 ans, sans emploi, a une vie qu’il trouve vide de sens qu’il va combler, non pas en fondant un club de boxe clandestin avec un ami imaginaire, mais en cherchant à interpréter ce qui l’entoure. La pop culture, de Playboy à Mario, devenant une immense chasse au trésor où coïncidences, correspondances et bizarreries formeraient autant de points à relier pour tracer la carte d’un monde caché, comme si la réalité avait un envers qui ne demandait qu’à être découvert. « Armé » de ce super pouvoir de l’interprétation paranoïaque, il va parcourir les collines friquées de la cité des anges dans une odyssée qui aurait pu toucher au picaresque si elle n’était pas avant tout hallucinée. Au niveau de la forme, DRM ouvre le bal sur une phrase cryptique montrée à l’envers que l’on n’arrive pas à effacer avant de continuer à sans cesse mettre des objets en avant, jouant sur nos attentes de spectateurs : si le film insiste sur quelque chose, c’est que cette chose est censée avoir un intérêt pour la suite, non ? Ici oui, non et peut-être-mais-j-ai-pas-tout-compris sont trois réponses simultanément valables.


Et c’est là peut-être le problème, comme dans son précédent film It Follows, l’épais mystère devient assez rapidement un dispositif répété : Sam va trouver un objet A qui va l’amener à la personne B qui va lui donner l’objet C qui va le guider à la personne D, etc. Entre un vieux Zelda et l’épisode de Dora l’exploratrice. Si au fil des séquences on touche au sublime comme la rencontre avec le compositeur qui pourrait être un excellent épisode de la quatrième dimension à elle toute seule, on tombe aussi du côté du nanar cosmique, de l’horreur surabondante ou tout simplement de la redondance. L’essoufflement du scénario est palpable et ceux qui ne tiendront pas particulièrement à connaître le fin mot de l’histoire risquent de sombrer dans un ennui sans bornes la première moitié du film passée, d’autant plus que les effets de style se font aussi plus rares. Soyez rassuré toutefois, DRM ne nous laisse pas le nez dans l’eau. La chasse au trésor ne s’interrompt pas en plein milieu même s’il laisse suffisamment d’élément dans le flou pour nous laisser théoriser ad vitam eternam. Une bonne chose ? Pas forcément en fait, car la quête en elle-même se révèle, pour ne pas changer, bien plus amusante que l’explication qui nous est donnée comme une obligatoire récompense au bout du chemin. Dérangeant aussi que tout semble tourner autour de notre personnage principal que l’on nous présente à la fois comme spectateur de passage ayant eu la chance d’entrapercevoir un monde qui le dépasse mais qui se révèle la seule clef capable de pénétrer cet univers caché, le réalisateur ne choisissant pas entre purgatoire personnel ou simple témoin au bon endroit au bon moment. On regrettera aussi que Sam, élément stoïque dans un Hollywood fait de mannequins peu farouches, de fantômes mélomanes et de sectes égyptophiles, subisse une séquence de psychodrame à deux balles dans le dernier acte.


Under the Silver Lake, c’est un peu le hipster du club des conspirationnistes amateurs. Si je lui préfère Dark City, Maps to the Stars ou même Invasion Los Angeles, ce n’est pas pour autant que cette pellicule acide aux couleurs vives ne propose pas une traversée du miroir de qualité, cinéphile et généreuse mais aussi terriblement imparfaite.

Cinématogrill
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le 18 août 2018

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