A la fois fascinant, déroutant, intrigant, passionnant mais trop long, un film qui ne laisse pas ind

Après nous avoir subjugués par la beauté plastique et l’intelligence du propos de son dernier film, « It follows », qui est l’un des fers de lance de la nouvelle mouvance du cinéma fantastique américain dit indépendant, David Robert Mitchell revient avec une œuvre encore plus ambitieuse mais d’un tout autre genre. Ou plutôt à la frontière d’une multitude de genres, aboutissant à un long-métrage unique et pareil à nul autre, preuve que le cinéaste a cherché à sortir de sa zone de confort. On retrouve tout de même des marques de ses deux précédents films, des signes récurrents tels que la sensation d’être suivi ressentie par les personnages, une imagerie intemporelle qui lui est propre dans les décors et les costumes et surtout cette importance de la pop culture. « Under the Silver Lake » s’apparente d’ailleurs au « Ready Player One » du cinéma d’auteur en marge, tant il regorge de références tous azimuts, néanmoins plus difficilement identifiables pour le spectateur lambda que dans le blockbuster généreux de Spielberg. Quant à le définir, les adjectifs manquent pour caractériser cette œuvre si singulière, et ils sont parfois antinomiques : déroutant, intrigant, labyrinthique, opaque, fascinant, prétentieux, passionnant, …


On peut dire qu’en surface ce film est une plongée méta dans ce qui reste peut-être la ville qui a le plus inspiré les cinéastes du monde entier, celle qui abrite l’usine à rêves qu’est Hollywood cette Mecque du cinéma : Los Angeles. Mais ici Mitchell en plus de la filmer avec amour et avec une passion qui confine parfois au sublime et au magique, comme a pu le faire Nicolas Windig Refn dans « Drive » par exemple, il en déconstruit également une partie des mythes et des secrets. Tout comme il vient gratter voire parfois annihiler avec un humour noir et une pointe de thriller décalé mâtiné de fantastique les clichés inhérents à la Cité des Anges, les rêves qu’elle porte et la faune humaine bigarrée qui la peuple. C’est un peu le nouvel avatar du film bizarre en forme de bilan, qui confronte le spectateur à ses propres visions sur Hollywood et le septième art. Il y a eu « Mulholland Drive » il y a près de vingt ans, l’inédit « Southland Tales » il y a plus de dix ans, « The Neon Demon » (encore de Refn) l’an passé et voilà « Under the Silver Lake ». D’ailleurs ces quatre films se sont retrouvés en sélection officielle au plus grand Festival du cinéma du monde, celui de Cannes. La boucle est bouclée…


Il est utile de signaler qu’on est face à un film extrêmement complexe à appréhender, avec de multiples symboles dont il semble difficile de saisir tous les codes, références et métaphores, ce qui en constitue parfois la limite. Le metteur en scène ne nous donne que très peu de clés de compréhension et il faut prendre ce mille-feuilles cinématographique comme il vient sous peine d’être largués. Il est nécessaire d’accepter de ne pas tout comprendre, voire quasiment rien, de se laisser porter par cette imagerie bercée de fantasmes et d’idées reçues sur LA et ses fantômes, ses préjugés et ses clichés, tel un miroir malade, déformant mais peut-être pas si exagéré que cela. Ce n’est pas tant la destination qui compte ici, mais le chemin qui permet d’y arriver. Cependant, on ne reprochera pas à Mitchell de plagier ou copier d’autres films en dépit de l’abondance de références et/ou hommages présents, car son film ne ressemble à aucun autre. En revanche, « Under the Silver Lake » pêche trop souvent par excès, ce qui l’empêche d’accéder au statut de classique instantané. Mitchel est trop gourmand et peut paraître prétentieux dans sa manière de se citer et de laisser trop de questions en suspens. Et, surtout, le film est beaucoup trop long ! Un demie-heure en moins n’aurait pas nui à ce long-métrage qui paraît souvent interminable.


Le côté sibyllin divisera l’auditoire et peut-être qu’une seconde vision éclairerait certaines choses. Mais toutes les pistes lancées ne sont qu’un puzzle à la fois ludique, agaçant et délirant d’un milieu finalement fantasmé qui broie les gens. « Under the Silver Lake » s’articule autour de trois rencontres phares (le complotiste, le compositeur et le milliardaire hippie) qui vont être le réceptacle de ce que sous-entend le film et en constituent la richesse thématique. On y parle donc de théories du complot et de toute la palanquée de signes et de folklore qui les entourent, de l’intacte fascination qu’exerce le monde des stars et des milliardaires et enfin de la vacuité de la société occidentale actuelle. Tout cela est condensé dans un maëlström d’images, de dialogues et de séquences plus ou moins farfelues et à priori incohérentes. Rassurez-vous, c’est tout de même plus accessible (mais moins hypnotique) et de prime abord moins incompréhensible que « Mulholland Drive », dont cette œuvre néo-noire fortement inspirée de Lynch justement se veut le pendant pop et dégénéré. Le film peut tout autant fasciner que rebuter mais il ne laissera pas indifférent et marque la patte d’un auteur passionnant. C’est le genre de long-métrage dont les cinéphiles aiment à débattre des heures après la séance, et c’est de plus en plus rare.


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JorikVesperhaven
7

Créée

le 10 août 2018

Critique lue 226 fois

3 j'aime

Rémy Fiers

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