Soit une poupée nue (Scarlett Johansson). Le film l'habille en femme fatale (manteau de fourrure, rouge à lèvres) et la jette dans un van, à Glasgow, parmi les anonymes. Un dispositif de caméra cachée enregistre le pouvoir fascination de la poupée sur les inconnus. La poupée s'arrête, invite, racole ("Do you think I'm pretty?"). Un mac à moto la surveille.
Quand vient le moment de toucher la poupée, celle-ci se dérobe, se métamorphose en odalisque: nue, elle semble traverser un harem pour le seul plaisir d'être vue. Interdit de toucher.
Un Monstre brise le rituel des rencontres: "Are we dreaming?", demande-t-il. Cette question transperce la poupée, lui révèle son vide. Elle ne peut plus être une prédatrice parce qu'elle n'est qu'une image, un leurre.
Drame de la poupée qui croit pourtant que quelque chose peut vibrer "sous sa peau". A ce moment-là, le personnage perd sa voix et n'est plus que vibration. La poupée veut recevoir, absorber, s'ouvrir.
Tout ce que le film va lui confisquer en tant que stéréotype (son maquillage s'efface, son manteau de fourrure est remplacé par une parka informe), il lui rend en fragilité, en vulnérabilité.
Ce qu'il y a sous la peau, à la fin, dans le décor de conte où a échoué la poupée, c'est la peur. Une peur presque humaine.
Après avoir habillé et déshabillé son personnage, le film réalise le strip-tease ultime: il fait sauter la peau. Sous celle-ci, il n'y a évidemment rien d'organique: un corps noir à l'aspect métallique regarde avec étonnement son enveloppe morte avant de brûler.
Le tas de cendres qui part en fumée dans le ciel est l'horizon attendu du film: que peut-on regarder, filmer, contempler quand il n'y a rien sous la peau? Under the skin est fascinant en tant qu'anthologie: il décline des figures féminines, stéréotypes venus du cinéma (la femme fatale du van), de la peinture (l'odalisque de la maison), de la littérature (le petit chaperon perdu dans la forêt) avant de brûler toutes les images qu'il a fabriquées. C'est tellement beau, se dit-on. Tout était tellement beau, froid, impassible, que même le feu ne pouvait briser la surface gelée des images. Aucune émotion ne jaillit en voyant brûler la poupée, sauf, encore, celle du beau. Piège d'un film fasciné jusqu'au bout par sa collection d'images: rien au-delà, rien en deçà. Juste des images.
chester_d
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le 8 juil. 2014

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chester_d

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