Je ne sais pas pourquoi certains films évoquent en moi une série de chansons. Peut-être ces dernières m’aident-elles à traduire l’indicible. Peut-être me permettent-elles de mettre des mots là où mon esprit, interdit, a cessé d’essayer d’analyser.
Allez savoir.
Toujours est-il que cette chronique fera à appel à Corynne Charby, Robert Mitchum et Scarlett elle-même (pas moins), que de grands acteurs et actrices passés un temps à la chansonnette, pour m’aider à démêler l’inextricable.


Comme une boule de flipper


Les premières secondes du film de Jonathan Glazer sont sans appel. Presque immédiatement, nous voilà transformés en boule de flipper (oui, ou une balle de Tennis, mon cher KingRabbit, mais je n’avais pas de chanson sous la main), au moment où cette dernière hésite entre revenir en jeu ou sortir de la partie. On aime viscéralement, presque instinctivement, ou on déteste.


Bien entendu, la boule à bon dos (rond et chromé) car nous ne découvrons pas le cinéma avec ce film. Notre bagage nous permet d’incliner la trajectoire de la bille. Se laisser porter, ne pas lutter contre les éléments comme le fait ce couple à la recherche pathétique du chien qui se noie, est le meilleur moyen de rester dans la partie (ou sur la berge, même si c’est au prix de hurlements désespérés).


Mieux, le film révèle, en y repensant, beaucoup plus de clefs qu’un film de Lynch (parce que chez ce dernier ce sont les serrures qui sont diaboliquement et astucieusement faussées) et la plupart des éléments qui paraissent opaques ou elliptiques dans un premier temps vous frappent par leur limpidité après quelques minutes / heures / nuits de sommeil, pour peu que vous ayez prêté toute l’attention nécessaire au travail clair-obscur du cinéaste. Ainsi, on évite le tilt fatal.


Beauty is only skin deep


Parce qu’au fond, le film ne manque pas d’éléments objectifs attestant de sa brutale et radicale qualité.
L’extraordinaire photographie de Daniel Landin est de celles qui seules sont aptes à capturer la sauvagerie et la magnificence d’une contrée fantasmagorique comme est l’Écosse. Une Écosse qui devient palpable, battue par la pluie et le vent, sous une lumière dure qui explique et infirme à la fois les caractères abruptes et terriblement accueillants des gens qui peuplent cette partie du monde miraculeuse.


Ce traitement visuel est également déterminant dans une autre réussite absolue du métrage. Le passage de l’hyper-réalisme (certains plans ont-ils été saisis en caméras caché, comme je l’ai lu quelque part ? Cela ne m’étonnerait pas) à l’étrange le plus onirique se fait le plus simplement du monde, rendant les deux facettes de l’expérience encore plus envoutantes.


Falling down


Oui, tomber dans cette eau noire, à la fois suffocante et relaxante, et absorber l’essence de ce film vénéneux.
Comment ne pas terminer sans évoquer la performance de Scarlett qui, comme l’a très justement fait remarquer Sergent Pepper dans son excellente critique ne fut que voix dans Her avant de n’être qu’un corps ici ?
Sa performance de créature asexuée, qui ne cesse de chercher un contact qui change de sens et de nature au fur et à mesure que le récit progresse, est à l’image de ces moments où on la devine nue, dans des postures et sous des éclairages qui ne la mettent pas en valeur. Un charme dur émane de ses traits fermés et de son manque d’expression, et pourtant une foule de déclinaisons émotionnelles transpire à travers cette apathie de surface. Une nouvelle étrangeté à l’image du film, dont les partis pris esthétiques sont au service d’une forme de crédibilité différente, alternative. Rien de factice ou clinquant là-dedans, à partir du moment où on plonge dans sa forme hypnotique.


Au final, bien content que la bille soit tombée du bon côté de la rigole pour me laisser en jeu, et ainsi m’être épargné deux heures d’ineffable ennui ou face à un sentiment de terrible vacuité, comme l’ont ressenti ceux qui ont détesté. Pourtant, j’attaquais la bête dans les pires conditions: entouré d’une bande avinée et rigolarde, au sortir d’une finale de coupe du monde aux relents germaniques, qui pensait s’atteler à une énième pochade hollywoodienne inoffensive. Pour tout dire, les premières secondes les ont vite calmés.


Écossez le mystère, dépecez sans compter, bûchez dans les forêts, errez dans les cieux plombés ou coulez dans les profondeurs menaçantes du récit, faites comme vous voulez, mais par dessus tout, plongez. L’eau paraît peut-être lointaine, froide et sombre, mais cela pourrait être une des immersions les plus saisissantes de votre carrière de plongeur.


Après tout, une boule de flipper a-t-elle besoin de respirer dans l’océan ?

guyness

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