A Star is Born (Frank Pierson, U.S.A, 1976)

Hollywood, 1976.
En voilà un remake intelligent, reprenant les grandes lignes de son ainé, pour en transcender le récit et en faire une œuvre de son époque. À aucun moment cette nouvelle version de ‘’A Star is Born’’ ne tombe dans l’écueil du remake facile, cherchant à proposer du neuf avec du vieux. Pour mener son spectateur dans les affres de la starification avec ce qu’elle a de plus magique, le côté ‘’étoile’’ du titre, mais aussi ce qu’elle a de plus rebutant.


Alors que le Nouvel Hollywood entame son déclin, et sa longue agonie qui durera jusqu’en 1980, le film de Frank Pierson se présente en pur produit de son temps, témoin des évolutions et des avancées rendus possibles par l’ouverture de la capitale du cinéma à de nouveaux regards plein de fraicheur. Bien plus proche de la version de 1937, qui montrait frontalement l’alcoolisme de Norman Maine, que celle aseptisée de 1954, où la maladie du héros était reléguée au second plan. Ici les addictions qui font de John Norman Howard (Kris Kristofferson) un artiste en bout de course, sont présentées sans aucun détours.


Des lampées abondantes de Jack Daniel au goulot, des tonnes de coke enfilées dans le pif, des groupies et des putes levées au pieu, le tout sur fond de rock n’roll, rien n’est épargné dans cette descente aux enfers. Là où la version de 1937 se faisait gentiment critique du microcosme hollywoodien, la version de 1976 vient mettre un petit coup de pied dans les dérives du Flower Power, qui à la fin de la décennie n’est déjà plus qu’une parenthèse refermée.


En 1969, avec Woodstock le rêve hippie était déjà plus ou moins terminé, les excès en tout genre ayant rendu le mouvement plus parodique que réellement tangible. Pour cela, voir le formidable ‘’Hair’’ de Milos Forman en 1979, qui illustre parfaitement cet échec. En 1976 c’est par le rockeur John Norman Howard qu’est traduite la désillusion hippie, star sur le déclin, incapable de gérer sa carrière de rockeur millionnaire, il est capricieux, dangereux, vivant sur le fil du rasoir, et mettant sans cesse sa vie en danger pour se sentir un minimum vivant.


C’est alors qu’il tombe sous le charme d’Esther Hoffman (Barbra Streisand), une chanteuse de bar, et se met en tête de lancer sa carrière, bien qu’elle ne le veut pas spécialement. Il a compris que l’Amérique a changée, et que le public veut autre chose. Il cherche ainsi à se faire remplacer, fatigué de la starification et de tout ce que ça implique. Il veut juste vivre paisiblement de son art, en se retirant des projecteurs, pour en revenir à une pratique plus intimiste, et profiter réellement de sa vie.


Dans un style bien plus pop, et dans l’ère du temps, bien moins politisés, plus axée sur l’émotionnelle, et en un sens plus populaire. Esther incarne l’évolution musicale des 70’s. Exit l’adage sex, drugs, and rock’n roll, bradé pour quelque chose de plus polissé. C’est sur ces problématiques qu’un an plus tôt le ‘’Nashville’’ de Robert Altman (une fresque grandiose de 3h) venait proposer des réflexions. S’appuyant sur une industrie du disque prenant un virage plus soft après les morts subites de Jimi Hendrix, Jim Morrison, Janis Joplin, Brian Jones, et consorts… Le mouvement libertaire s’essoufflant ainsi dans un tragique qui allait engendrer des légendes éternelles.


Ce second remake de ‘’A Star is Born’’, dont l’existence est rendue possible par l’évolution d’Hollywood, présente un personnage inédit en la personne de John Norman Maine. Véritable loque, ce forcené détestable, mais rendu sympathique par cette folie dont il n’est pas responsable, il est née d’une industrie qui l’a complétement broyée. Remplissant salles et champs gigantesques, attirant des centaines de milliers de personnes, ce qu’il incarne le dépasse complètement. Au point qu’il ne correspond plus du tout à sa musique, ni à sa volonté de simplicité.


La nature mercantile et commerciale de sa carrière lui échappe totalement. Contrôlé par des parasites qui l’entoure, et qui profitent de sa candeur pour se faire de la thune sur son dos, il ne peut plus à exister pour ce qu’il est, mais existe pour ce qui est attendu de lui. C’est pourquoi il se cache derrière Esther, une rencontre amoureuse qu’il utilise pour se déplacer au second plan.


Le rêve américain vient alors se présenter avec ce qu’il a de meilleur, car la petite chanteuse de bar accède au succès, sans se trahir. Esther pratique un art modeste et populaire, auquel elle offre une dimension universelle. Et à mesure qu’elle s’accomplie en tant qu’artiste, John prend lui du recul pour retrouver les racines de ce qu’il est. Mais les chemises en lin et les fleurs ont été remplacés par piscines et Ferrari. Il a atteint le point de non-retour, et s’enfonce dans la dépression.


Une scène du film vient rappeler étrangement une période de la vie de John Frusciente. Second guitariste des Red Hot Chili Peppers broyé par le succès, il plongeât dans une profonde dépression, et enregistra au milieu des années ‘90 un album avec un lecteur cassette. John Norman Howard fait exactement la même chose, lors d’une séquence qui de fait provoque un frisson inattendu. Comme une répétition d’une convention convenue de la rock star.


S’il est possible de reprocher au film de sombrer parfois dans le pathos et la marmelade sentimentale, il parvient néanmoins à exister au-delà. Fresque grandiose offrant une belle réflexion sur les dangers du star système, elle prévient de la nécessité de se protéger comme individu, pour ne pas devenir un produit de consommation, qui une fois essoré est jeté à la première déconvenue.


Ainsi, Esther ne devient pas autre chose qu’une chanteuse de bar, à aucun moment elle n’oublie ses racines. Pleinement consciente qu’elle doit sa reconnaissance à John, et à son talent, et non directement au public. Contrairement à lui qui s’est fait seul, et s’est rendu prisonnier d’un système, encouragé par tous les parasites qui gravitent autour de lui, ceux-là même qui l’infantilisent au maximum pour mieux le contrôler selon leurs intérêts.


‘’A Star is Born’’ version 1976 fût le second plus grand succès commercial de cette année-là. Ce n’est pas étonnant puisque le film fonctionne vraiment bien, et l‘alchimie entre Barbra Streisand et Kris Kristofferson fait merveille. Pourtant, selon les propos du chanteur/comédien, travailler avec Streisand l’aurait ‘’vacciné de jouer la comédie’’. En vrai tyran, la chanteuse fût une véritable diva sur le plateau.
Jon Peters, son coiffeur de mari reconvertit dans la production (ce n’est pas une blague), étant producteur, et elle co-productrice, elle eut la main mise sur la création du film. Au point d’en réaliser elle-même quelques séquences que le réalisateur refusait de tourner. Ce dernier, en froid avec ses deux stars capricieuses se contentant de mettre en image. Kristofferson se souvient de cette expérience en ironisant sur le fait qu’il s’en foutait, puisqu’il était bourré H24.


C’est peut-être ce qui fait que le métrage fonctionne aussi bien, les comédiens n’ayant pas réellement besoin de jouer, demeurant eux-mêmes devant la caméra. Esther étant capricieuse et dynamique comme Barbra Streisand, et John étant à la masse comme Kristofferon à cette période de sa vie. L’alchimie étant ainsi certainement née du fait que les acteurs incarnaient leurs personnages sans s’en rendre compte. Un incident comme seule le permet la magie du Cinéma.


Un bon film donc, ce qui change de la version de 1954, redéfinissant les cadres du récit où évoluent les personnages. Ne donnant jamais l’impression au spectateur de revoir le même film, puisque rien n’est téléphoné, et il se permet même plein d’audaces rendues possibles par l’émergence du Nouvel Hollywood. En le comparant à son prédécesseur direct, ‘’A Star is Born’’ permet de prendre la mesure de l’évolution de l’industrie en 20 ans.


De plus, les nombreuses musiques signées Paul Williams, le génie derrière la musicalité du ‘Phantom of the Paradise’’ de DePalma, rendent l’univers musical de ‘’A Star is Born’’ passionnant. Contrairement aux séquences bouffies de la version de 1954, tout fonctionne naturellement, sans être attendu. Au vu de sa production compliquée par l’ego de sa star principale et le je-m’en-foutisme de Kristofferson, la réussite de ‘’A Star is Born’’ est un bel accident, comme seules les seventies ont pu accoucher.


-Stork._

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le 10 févr. 2020

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