Je me demandais ce que Mizoguchi allait bien pouvoir tirer de ce contexte si semblable à celui des Musiciens de Gion. Vous n'en avez pas marre des geisha, Mizo-san ? Précisons qu'il s'agirait d'une œuvre de commande, ce que le réalisateur aurait à juste titre pris comme un affront alors qu'il est, dans les années 1950, au faîte de sa carrière et que ses œuvres commencent même à s'exporter à l’international. Tout cela n'augurait rien de bien transcendant et, pourtant, j'ai été conquis.


On n'insiste peut-être pas assez sur le rythme chez Mizoguchi. Une Femme dont on parle déroule son histoire sans temps mort, sans davantage de précipitation. La caméra participe à la danse, plus généreuse en travellings et panoramiques que dans les précédentes œuvres du réalisateur. Le tempo est celui d'une vie bien remplie dont même les instants de recueillement possèdent quelque chose de cette douce tension des âmes trop pleines. Les silences, chez Mizoguchi comme chez Mozart, sont encore de la musique.


Le film est aussi fascinant de par son naturalisme, cette plongée si immersive dans le quotidien de geisha qui ne sont pas figées dans le hiératisme théâtralisé dans lequel la tradition les a engoncées. Les personnages sont concrets, évoluent psychologiquement, surprennent par leur authenticité.


Il faut voir cette scène de baiser, qui justement n'est pas montrée, mais qui éclot dans l'imagination du spectateur à travers le jeu un instant muet de l'actrice principale pour comprendre à quel point cette dernière parvient à parfaitement épouser les intentions de Mizoguchi dans une espèce d'euphonie du silence.


Tanaka Kinuyo, actrice fétiche du réalisateur, offre en effet une prestation mémorable qui oscille entre tendresse et bouillonnement intérieur, offrant un surplus de vie à un film qui n'en manquait déjà pas. A noter que Tanaka venait de débuter à l'époque une carrière de réalisatrice, ce qui fit d'elle la première femme à exercer cette profession au Japon !


Avec Les Musiciens de Gion, Une femme dont on parle fait partie d'une trilogie axée sur la prostitution du quartier de Gion qui se terminera, en 1956, avec La Rue de la Honte, juste avant la mort d'un réalisateur qui, à contre-courant de son époque, avait su s'intéresser aux délaissées pour en montrer d'inavouables et pourtant fascinantes réalités. Avec, toujours en arrière-plan, cette conviction que le visage nu du quotidien n'est pas moins digne du miroir de l'art que les plus chatoyants des masques imposés par la société.

Amrit
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le 30 déc. 2021

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