Peut-on changer le monde avec le cinéma ? On peut commencer par traduire les difficultés sud-américaines pour entrer dans une ère d'ouverture et d'acceptance.
À la mort d'un amant, se retrouver tout à coup au contact de sa famille alors qu'il était le seul être à vous aimer pour ce que vous êtes, voilà l'expérience traumatisante que Sebastián Lelio choisit de représenter en faisant ce qu'il y a de plus beau pour un artiste qui aborde le sujet sensible de la transidentité : s'effacer. S'effacer devant Daniela Vega (d'abord engagée en tant que consultante avant de devenir l'actrice principale), qui interprète la douleur de son personnage avec une abnégation qui sent tellement le vécu que c'en est suffocant, puis devant l'horreur : l'incompréhension et les efforts gênés s'écroulant finalement pour révéler la transphobie dormante de ces gens jamais encore confrontés à l'inconnu.
Le titre nous parle d'Une femme fantastique, et notre esprit de spectateur conditionné veut que nous nous questionnions sur la raison d'être de l'adjectif – pourquoi est-elle fantastique ? En réalité, ainsi que le générique de fin le surligne si on ne l'a pas encore compris, c'est le nom qui compte. La femme. Une femme qui n'a rien de fantastique que de juste être une femme dans un monde qui la rejette. Autrement dit, une femme qui n'aurait rien de fantastique si le monde ne ressentait pas le besoin d'exprimer sa répulsion pour des personnes qui sont simplement elles-mêmes. Toute l'horreur de la considérer comme une femme fantastique, c'est qu'elle a hérité de cet adjectif dans la douleur de n'être pas considérée comme une femme tout court. Alors on a envie de le barrer : pas fantastique. Juste femme.
En faisant cette démonstration, Lelio a transformé une consultante en actrice primée et influente défenseuse des droits humains, accélérant au passage l'amélioration de la législation chilienne à l'égard des personnes transgenres. Alors oui, on peut changer le monde avec le cinéma.
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