Ce soir-là j’avais prévu de me faire la soirée Romy Schneider sur ARTE et donc de poursuivre sur Portrait de groupe avec dame, d’Aleksandar Petrovic, que je ne connaissais pas, mais je n’ai pas eu la force : Petrovic attendra, Une histoire simple m’a dévasté.


 J’étais persuadé de l’aimer moins que les autres, celui-là. Moins que d’autres Sautet, je veux dire. Sans doute est-ce parce que je ne l’avais pas revu car c’est immense. Immense. Une claque. Sautet dans les années 70 c’est un sans-faute, c’est vertigineux. Si on y compte Les choses de la vie (1970) et qu’on y glisse Un mauvais fils (1980) ça fait sept merveilles. Sept !
Je me demande même si Une histoire simple n’est pas son plus beau film, en fait, tant il condense à la fois la complexité, la mélancolie, la puissance de chacun de ses films, mais avec une dimension nettement plus féminine/féministe, lui qui était plus un adepte de la psychologie masculine. Cependant, il faut voir comment il filme Claude Brasseur et Bruno Cremer là-dedans, ils sont magnifiques, c’est à chialer.
Il y a beaucoup d’impalpable dans Une histoire simple. Les couples sont fragiles quand les amitiés, elles, semblent plus invulnérables, capables de traverser des obstacles qui sont parfois des gouffres. « J’aimerais que tu me prennes dans tes bras. Et que tu me sers, fort » demande Marie à Georges, son ami, alors qu’il était jadis son mari, qu’il est le père de son enfant, un garçon aujourd’hui adolescent, et qu’il sera plus tard le père de son deuxième enfant, qu’elle prendra cette fois l’initiative d’assumer pleinement seule. Toutes les séquences entre Romy Schneider et Bruno Cremer sont bouleversantes tant il s’y joue quelque chose qui nous dépasse, nous, spectateurs n’ayant aucune image, certitude de leur passé. On imagine, on rafistole et grâce à la mise en scène de Sautet et au jeu magnétique de ses deux magnifiques comédiens, on comprend l’intensité de leur relation.
C’est terrible car c’est un doux miroir de ce qui se joue entre Marie et Serge, entre Romy Schneider et Claude Brasseur, notamment cette séquence d’aveu et d’affrontement, avec cette dose de désespoir et de frustration que chacun renferme, dans son détachement, sa tristesse, son mutisme. Même Sautet dont c’était la spécialité, n’avait pas écrit de si beaux personnages pour ses acteurs, il me semble. Le « Je sais que c’est fini mais j’y arrive pas » de Brasseur, avant qu’il n’entre dans la comédie, qu’il ne se donne en spectacle, pour se protéger, c’est bouleversant.
C’est peut-être le film de Sautet le plus proche de la vie, en fin de compte, d’une forme d’authenticité – au sens large – des relations, des fragilités, de la façon dont on appréhende une douleur. Il y a Jérôme, cet homme (apparemment pas un personnage important du récit, mais il devient pivot, parce que seule Marie est confrontée à l’entièreté de son désespoir : la scène des médicaments, évidemment) qui s’engouffre dans des pulsions suicidaires après un licenciement sous prétexte qu’il était moins performant. Il y a ce couple séparé qui continue de se voir comme des amants. Cette femme qui choisit d’avorter et de se séparer dans la foulée de l’homme qui l’a mise enceinte parce qu’elle ne l’aime plus. Il y a la mort qui surgit comme un coup de hache. Il y a la vie qui reprend son cours, imperturbable malgré la montagne de fêlures. Il y a une réunion dans une maison de campagne – de celles que Sautet aimait tant filmer : la douceur d’une baignade ou d’un diner guetté par la dépression d’un homme et les accrochages idéologiques de quatre femmes. Il y a une discussion entre amies dans une cuisine qui se poursuit sur une dispute et s’achève dans les larmes puis une crise de fou rire. Il y a cette nouvelle grossesse qui débarque là de façon aussi inattendue que la discussion sur l’avortement nous happait en introduction – Trois ans seulement après le vote de la Loi Veil, hein, quand même.
C’est un film pour Romy Schneider mais c’est surtout un nouveau Vincent, François, Paul et les autres dans lequel on aurait remplacé ces quatre prénoms masculins par quatre prénoms féminins. C’est comme si Sautet nous donnait à observer davantage les compagnes, maintenant. On retrouve beaucoup de ce film dans Une histoire simple. Mais à la profonde mélancolie des garçons répond la robuste solidarité des filles.
Et puis il y a cette fin, incroyable, dans laquelle Marie rayonne sur une chaise longue, en plein soleil, maitresse de son destin. D’une part car elle répond évidemment à la scène d’ouverture dans laquelle on la découvre lors d’un entretien avec un médecin, juste avant de se faire avorter. D’autre part car elle offre une nouvelle décision pour Marie, une nouvelle prise de pouvoir, d’indépendance. C’est un grand film sur le choix (de la femme). Sur l’émancipation. Et c’est d’une limpidité, d’une intensité et d’une beauté, c’est déconcertant.
Bref, ça m’avait échappé jusqu’à maintenant : c’est un chef d’œuvre, déchirant.
JanosValuska
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le 18 déc. 2018

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