C'est un film intéressant à plus d'un titre, un film d'atmosphère, noir, mutique, mystérieux, un film à construction complexe, mais qui la planque sous le tapis.
Son réalisateur et scénariste : Dong Yue nous propose un premier métrage aux virages imprévisibles et aux intentions largement tues. Un film sombre, parfois lugubre et présentant une vision très noire de la destinée humaine. Un monde sans dieu et sans sens.
L'histoire suit un certain Yu Guowei juste libéré de prison. Un long flashback nous ramène alors en 1997, quand il était chef de la sécurité d'une grosse usine de fonderie et métallurgie située dans le Sud (ou Sud-Est) rural de la Chine, quelques mois avant que Hong-Kong ne soit rétrocédée à celle-ci. Une usine entourée des baraquements ou corons abritant les ouvriers et techniciens qui y sont employés.
Plusieurs crimes de jeunes femmes ont été commis dans les environs et la police de la région, qui enquête à leur sujet, les attribue à un serial killer qui procède à peu près toujours de la même façon, mais qui n'a pas jusque là laisser d'indices permettant de l'identifier. Étant en sous-effectif, la police a fait, pour l'aider, appel au chef de sécurité de l'usine, Yu Guowei donc, qui se rend aussi vite qu'il peut sur le lieu du crime avec son jeune assistant.
Tandis que la police piétine et tarde à découvrir l'auteur de ces crimes à caractère sexuel, Yu Guowei et son "disciple" (qui a manifestement une grande estime et admiration pour son chef) se passionnent pour l'affaire et entament leur propre enquête.
La pluie tombe sans discontinuer, efface toutes les traces éventuellement laissées par le meurtrier psychopathe, rend archi-boueux les chemins intérieurs ou extérieurs au site de l'usine et la campagne environnante, ce qui ne facilite pas la poursuite de suspects éventuels. Elle ne facilite pas non plus leur identification, puisqu'en période de pluie, dans cette région de la République Populaire, chacun est vêtu d'un même parka verdâtre à large capuche rabattue sur les yeux et le nez.
Pour le "maestro" (c'est le nom que donne à Yu Guowei son assistant), la traque du serial killer va vite tourner à l'obsession, car il est persuadé d'avoir un don d'identification des malfaiteurs : ne vient-il pas d'être nommé, comme une petite dizaine d'autres employés, "ouvrier modèle" de son usine et, devant toute l'usine rassemblée pour la remise de ces récompenses, de faire un discours, à l'incitation de la direction, sur sa mission de chef de la sécurité du site ?
Il poursuit donc son enquête et, parallèlement à (ou dans le cadre de) celle-ci, rencontre et s'intéresse à une jeune "entraîneuse" et vice versa. Pour elle, il achète bientôt une petite boutique de coiffure, dont il va, à l'insu de son amoureuse, faire une sorte de piège à serial killer.
Hélas, malgré sa ténacité et supposée perspicacité, les choses iront de mal en pis.
Dong Yue sait non seulement construire un suspense (avec au moins un épisode long et haletant), il sait également rendre humains et attachants les personnage qui animent et éclairent ce sombre polar. Quand le malheur les frappe, presque toujours de façon inattendue, on est navrés pour eux, vraiment navrés de ce qui leur arrive. Et quand Yu Guowei, lassé sans doute de cette accumulation de catastrophes, finit par perdre les pédales (et dieu sait qu'il les perd !), on est nous-mêmes catastrophés et quasi incrédules devant cette crise de désespoir, ce coup de folie, ce déchaînement.
Le scénario est malin, elliptique, très travaillé : riche quant au fond et assez énigmatique quant à ses intentions. Le film a une certaine beauté, est bien photographié, ces paysages de pluie diluvienne sont plutôt photogéniques. Il y a une vraie esthétique dans l'utilisation des couleurs (on reste presque toujours dans les verts, bruns, gris, gris anthracite). Et les acteurs sont, pour la plupart, beaux (ou, du moins, sympathiques) et bien dans leurs rôles.
Une fois la résolution de l'enquête donnée, on peut avoir envie de revoir le film pour mieux appréhender et apprécier l'ensemble.
C'est un bon polar et un bon film (avec un aspect documentaire intéressant sur le monde du travail en Chine dans ces années-là et une vision critique de celui-ci). Certains ont parlé de nihilisme à son propos. Ce qui est sûr, c'est qu'après l'avoir vu, partir vivre là-bas ne me dit pas plus que ça.