Nous le sentions grandir depuis ses trois premiers long-métrages qui ont fait l’unanimité, mais Terrence Malick a lentement commencé par sortir du registre contemporain pour retourner à la source abstraite, qui témoigne de tout son lyrisme et sa passion pour la narration. Depuis “The Tree Of Life”, sa curiosité l’a poussé à expérimenter des sensations, présages d’un renouveau d’une splendeur indétrônable. Quand bien même il sait rester modeste, même dans la folie ou les prises de risques, il a toujours su ce qui le faisait vibrer. À présent, il a fini par construire l’œuvre intermédiaire afin de nous transmettre tous ces frissons, ces maux de tête et de ventre, jusqu’à nous impliquer moralement et consciencieusement. Non pas qu’il ne l’ait jamais fait auparavant, mais dans ce dernier récit, nous y trouverons plus d’arguments pour débattre de ce que l’artiste souhaite véhiculer. À l’opposé de “La Ligne Rouge”, Malick nous rappelle, loin du Pacifique, et nous livre une bataille moins musclée et plus sensorielle que jamais. C’est tout un ensemble qui fait que son intrigue, bien qu’inspirée de faits réels, respire de nouveau le dilemme de la foi contre la raison.


Autriche, 1940. Les champs murmurent, le vent caresse les faux, le blé frémit et les montagnes voilent ce paradis caché… Il faut peu de temps, dès les premières images, pour nous donner le ton dramatique et informelle d’une chute et d’un mauvais présage. La guerre et la Nazisme sont aux portes de cette campagne, où l’harmonie règne, toute comme le silence triomphant qui commande ces terres neutres pourtant riche en liberté. La Nature a une place bien propre dans ce récit qui surcutte des plans sans arrêt, mais qui jouent en faveur d’une expérience. Nous assistons donc à la descente de Franz Jägerstätter (August Diehl), mari accompli et père d’enfants innocents. Sa quête le mène à emprunter une destination qui rime avec résistance, mais sans conviction de changer le monde. Il s’agit avant tout de préserver le sien, car sa conduite morale lui dicte de se reposer sur son âme. Il n’est donc pas étonnant de le voir confronter ses idéaux avec l’Église, corrompu par la peur et le remord, sans qu’on puisse y faire quoi que ce soit. Le sujet a beau avoir été développé dans bien d’autres œuvres, mais c’est justement dans ce rapport à l’humanité qu’on devine rapidement le sort de ce dernier, martyr de la liberté.


Il rappelle ô combien les épreuves de cette guerre et l’influence maléfique de l’Axe laissaient deux pôles se distinguer dans leur rang, les admirateurs et fidèles. Et bien que l’aboutissement d’un tel affrontement conduise à une vision de paix, elle reste inaccessible à ceux qui n’essaye pas de voir et il est important d’ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure, comme il faut savoir utiliser ses yeux pour accepter la tragédie de cette intrigue. Cependant, les décisions sont lourdes de sens et la responsabilité à porter est si grande pour des êtres qui n’ont pas plus d'impact que cela dans le monde. Et c’est sans nul doute la provenance de tout ce lyrisme qui s’affiche devant nous, nous qui nous n’avons rien d’autre à faire qu’à résister ou s’abandonner dans les limbes, loin de ce paradis que l’on voit se transformer au fur et à mesure que la conduite de Franz l’éloigne de son épouse Franziska (Valerie Pachner) et sa famille, qui endurent mille peines. Le lien fort qui les unis transcende pourtant l’écran, faisant des vas et vient vers le “nouveau monde” et “La Vie Cachée” (A Hidden Life) dont nous comprenons la symbolique sur les dernières lignes de cette fresque de la foi.


Malick possède toujours un sujet salvateur pour ses personnages, qui luttent contre le monde qui va trop vite et qui en oublie ces individus qui le constituent. Et en arpentant le sentier de l’abstrait, il nous tend une nouvelle vue à chacune de ses réalisations que l’on peut rarement estimer maladroites, car il ne nous est pas toujours permis de lire en lui comme dans un livre ouvert. Ce film testamentaire prouve toutefois qu’il est possible de renouer avec son art, comme si nous en faisions déjà partie et c’est bien entendu cette sensation qui nous excitera davantage à analyser et à interpréter sa partition, en parfaite symbiose avec le grand James Newton Howard et le cadre du cinéaste qui vise naturellement la contre-plongée pour nous émouvoir toujours un peu plus.

Cinememories
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le 9 janv. 2020

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