Je tenais à voir le dernier Malick avant de dresser ma liste des meilleurs films de cette année. J’y croyais. Mais je m’y suis beaucoup ennuyé. Et plus qu’un simple ennui – qui peut parfois s’avérer agréable – c’est surtout l’incompréhension qui a dominé. Si la déception est grande, il y a malgré tout, de beaux motifs de satisfaction.


 Ce qu’on retient c’est l’histoire vraie de cet homme, Franz Jägerstatter, ce paysan autrichien / christ anonyme qui refusa de porter allégeance à Hitler, jusqu’à en mourir. Son acte de résistance aussi lumineux qu’insensé. Et Malick a le culot et l’humilité de ne pas créer de suspense là-dessus, tant on comprend très vite que le personnage (et le couple) ne dérogera pas à son principe. C’est très beau. Mais il faut attendre la troisième heure pour pleinement l’apprécier, quand le nœud dramatique y devient plus intense, resserré, canalisé jusqu’à ce carton final et cette magnifique citation de Georges Eliott qui éclaire à la fois les motivations du film, l’étrangeté de son titre et me fait oublier que je me suis beaucoup trop ennuyé.
Avant cela, outre l’ennui, je me suis retrouvé confronté à de la circonspection permanente. Une sorte de syndrome Cold war qui aurait fusionné avec le syndrome Lincoln. Aucun lien entre Pawlikowski, Spielberg & Malick, évidemment, ça n’engage que moi et mon désarroi face à chacun de leurs films suscités. C’est aussi qu’il y a beaucoup trop de musique, de contre-plongée, de caméra au sol. Il y a trop de plans, de manière générale. Trop de grand-angle aussi : On n’est parfois pas loin du point Lanthimos, avec ce fisheye dégoûtant. Bref, du seul point de vue formel c’est un carnage. Puis passé une heure, on s’y fait. Aussi parce que cet étalage a toujours fait partie du cinéma de Terrence Malick.
On s’y fait car il y a un vertige. Dans l’amour éperdu de ce personnage, son incompréhension éternelle, ce besoin de rester accroché à un idéal qui prend évidemment des allures de mise en abyme tant on pourrait y voir l’évolution du cinéma de Malick qui n’aura cessé d’expérimenter et qui semble (enfin) dire que ça lui aura permis de revenir à ce qu’il sait faire de mieux : Narrer. Déployer une envergure de récit tout en restant dans un écrin très intime. Et le film est en effet dénudé. C’est une fresque rabougrie. Qui embrase l’Histoire, jusqu’à disséminer (et même s’ouvrir sur) des vidéos d’archives de 1940, tout en préférant filmer un village, la terre, les hommes et les femmes qui travaillent dans les champs, le puits, à la traite, les suivre en train de nettoyer une église, ramasser des pommes de terre, faucher les blés, polir les faux. Les gens qui travaillent, Malick le filme bien. Le bruit du matériel, Malick le rend bien. C’est la beauté (la merveille ?) qui s’écroule sous le poids terrible du monde. « The world is stronger » dit Franziska, un moment donné.
Il manque l’immersion, pour moi. Je n’ai pas tout de suite su d’où ça provenait. Puis j’ai compris : C’est d’abord un souci d’interprétation, je les trouve tous deux un peu trop amorphes dans leur jeu, non loin du couple Affleck / Kurylenko dans To the wonder. Mais c’est surtout un problème de langue. J’aime bien l’idée que le couple parle une autre langue. Mais pourquoi l’anglais ? Ça m’a gêné. Surtout que l’allemand n’est pas très bien mis en valeur, « l’allemand qui n’est pas sous-titré » je veux dire : Celui qui rassemble les cris des officiers et les insultes des villageois. Pourquoi l’allemand est si terrifiant et l’anglais si rassurant ? Pourquoi l’anglais, tout simplement ? C’est sans doute trop bavard aussi, globalement. Ça m’a rappelé le douloureux Silence, de Scorsese.
Et pourtant c’est du pur Malick. Je l’ai tant aimé, ce Malick-là. Celui, plus narratif, qui aura notamment offert les deux pièces d’or que sont La ligne rouge & Le nouveau monde. Je ne l’ai certes pas entièrement retrouvé mais j’ai l’impression que « mon » Malick est sur la bonne voie. Car il y a du fond, donc le film continue de « travailler » après la projection. Knight of cups, c’était différent, tant il misait sur sa capacité de fascination instantanée. Ça ne marchait pas sur moi, mais j’y voyais d’éparses fulgurances. Là je suis tout aussi désarçonné, mais il me reste du fond et notamment cette citation sur laquelle le film s’évapore. Il me reste une magnifique utilisation de la symphonie de Gorecki. Il me reste ce dernier échange amoureux :

« You understand ?



  • Do what is right »


    Il me reste suffisamment de belles choses pour considérer que c’est un beau film. Son meilleur depuis The tree of life. Mais j’imaginais tellement retrouver la magie et l’émotion du Nouveau monde, j’aurais aimé ne pas voir le temps passer, ne pas être dérangé par des partis pris (formel, essentiellement). Du coup, si j’ai versé ma petite larme quand on entend Gorecki, j’aurais aimé être ému un peu plus tôt.



Tout n’est pas perdu. J’avais arrêté d’aller voir Malick au cinéma – snobé Voyage of time puis Song to song. Dorénavant, j’y retournerai.

JanosValuska
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le 1 févr. 2020

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JanosValuska

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