Alors qu’elle passe des vacances sereines en compagnie de son mari (Winston Duke) et de ses enfants (Evan Alex et Shahadi Wright-Joseph), Adelaïde Wilson (Lupita Nyong’o) se montre de plus en plus inquiète, troublée par une série de coïncidences apparemment sans importance. D’abord incrédule, son mari commence à la croire lorsque la maison se fait attaquer par une mystérieuse famille. Et de fait, cette famille n’est autre qu’une version étrange et meurtrière d’eux-mêmes…


Jordan Peele avait déjà créé la sensation avec son Get Out, film sympathique mais imparfait, qui avait néanmoins l’immense mérite de prouver qu’aujourd’hui, un film peut encore avoir un réel succès au box-office sans être un énième produit dérivé de telle ou telle saga, mais bien une proposition originale en bonne et due forme. Si Get Out souffrait toutefois de passer après l’excellent A Cure for life de Gore Verbinski, qui, traitant d’un sujet très similaire, se montrait supérieur en tous points, il n’en est rien de Us.
Continuant sur la lancée de Get Out, Jordan Peele démontre deux choses : son aisance à maîtriser l’épouvante, et surtout sa capacité à dépasser le stade simple de l’horreur pour donner du sens à son spectacle.


Le scénario écrit par Peele lui-même ne recherche donc pas la cohérence la plus extrême, mais cherche avant tout à donner du sens à la fable sociale et politique à laquelle le réalisateur nous propose d’assister. Us n’est donc pas un film à énigmes au sens littéral du terme, mais avant tout un conte presque philosophique, une parabole dont les incohérences apparentes ne servent finalement qu’à mieux mettre en avant la portée. Et de fait, la portée de l’œuvre de Peele est ici très puissante, et ce d’autant plus que le réalisateur a parfaitement compris que pour rendre son histoire efficace, il ne fallait pas que le message soit délivré de manière frontale, mais bien de manière détournée grâce au recours à la fiction, et dans ce cas particulier, au fantastique.
Ainsi, cette histoire de double maléfique n’existe pas que pour elle-même, mais bien pour que le réalisateur nous délivre sa vision – glaçante – de l’Amérique actuelle. Il n’est plus ici question de racisme, mais d’une discrimination bien plus vaste, qui peut être l’objet aussi bien des Blancs que des Noirs. Car ceux que Peele met en scène ici, de manière certes radicale, ce sont tous les laissés pour compte du système capitaliste, ce sont tous ceux que les Américains, installés dans leur commode confort, ont privés de voix (et ici, au sens littéral comme au sens figuré).
En imaginant deux mondes superposés l’un à l’autre, Jordan Peele dénonce les deux vitesses d’une société corrompue, et désormais incapable de s’en rendre compte. C’est bien ce qui la mène à sa perte, d’où l’irruption régulière dans le récit de la référence biblique Jérémie 11, 11 : « C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé : Voici, je vais leur amener un malheur auquel ils ne pourront échapper; ils crieront vers moi et je ne les écouterai pas. » Si les exclus du système sont muets, ceux qui en ont bénéficié sont aveugles. Aveuglés par leur propre médiocrité, ils sont incapables de voir l’évidence : le nombre de ceux qui n’en peuvent plus est en train de submerger le nombre de ceux qui en profitent. Et à l’époque de l’Amérique de Trump et de la France des Gilets Jaunes, le message de Jordan Peele revêt tout son sens…


L’immense mérite du scénariste-réalisateur, c’est d’écrire ses personnages sans manichéisme aucun. Il n’est pas là pour juger, mais bien pour montrer. Il n’y a pas de gentils et de méchants, dans Us, simplement des gens qui ont souffert et des gens qui souffrent, des gens qui ont payé le prix des erreurs d’autrui et des gens qui payent le prix de leurs propres erreurs.
En ce sens, la mise en scène s’avère remarquable, et même si un discours un peu trop explicatif plombe (très) légèrement la fin du film, il n’enlève en rien aux images leur force considérable. S’appuyant sur un extrême symbolisme qui semble être sa marque de fabrique, Jordan Peele et son directeur de la photographie Mike Gioulakis conçoivent leurs plans avec des yeux d’orfèvre. C’est ainsi que chaque plan joue remarquablement sur la notion du double, que ce soit au travers des reflets, des ombres, de la symétrie axiale… Chaque image porte en elle son propre sens, ce qui donne au film toute son efficacité.
Le plus beau, c’est que même si l’on prend Us comme un simple film d’épouvante, il n’en fonctionne pas moins à merveille. Dès le moment où l’horreur commence, elle plonge son spectateur dans un cauchemar envoûtant et dérangeant, mais jamais excessivement malsain. On peut dès lors regretter que le dernier segment du film délaisse complètement l’épouvante afin de passer au stade des explications, ce qui est heureusement compensé par un travail toujours aussi incroyable de l’image.
Quant aux acteurs, ils ne sont pas en reste, et tous nous livrent une (double) performance véritablement impressionnante, à commencer par la grandiose Lupita Nyong’o. Evan Alex et Shahadi Wright-Joseph ne sont toutefois pas en reste, dans le rôle d'une dure exigence des enfants d'Adelaïde et de leurs doubles maléfiques (les deux plus malaisants à mon goût).


Ainsi, au gré de la bande-originale hypnotisante de Michael Abels et de ses thèmes diaboliques et envoûtants, on se laisse immerger complètement par la vague d’effroi et d’émotions en tous genres que suscite Us pour la laisser nous envahir et nous noyer avec un étrange plaisir.
Un plaisir suscité certes par la satisfaction de voir un film qui sait profiter du divertissement pour nous faire réfléchir et nous délivrer un discours profond et intéressant, mais avant toutes choses un plaisir suscité par l’enthousiasme de contempler un réalisateur prendre son envol dans une œuvre inclassable qui ne ressemble à rien de déjà connu, annonçant par là-même la naissance d’un artiste hors-norme qui, sans nul doute, laissera une marque indélébile dans les annales du cinéma.

Tonto
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le 2 avr. 2019

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