Notre face cachée, une partie de nous ?

Après l'extraordinaire Get Out, Jordan Peele revient sur le devant de la scène (ou plutôt de la salle en l'occurence ici) avec son nouveau long-métrage horrifique. Beaucoup, devenus fans de ce réalisateur, espèrent énormément de ce film. Pour ma part, je me situe dans cette catégorie mais préfère prendre ses oeuvres à part entière et éviter le plus possible d'établir des comparaisons dévalorisantes. Car, c'est sûr, Us n'est pas aussi bien que son prédécesseur mais étonne sur d'autres éléments et donne toujours l'impression d'être devant un (très) bon long-métrage. Sans attendre, voici ma critique tant attendue (je le sais) du film en question.


Commençons par parler de la mise en scène et du traitement de l'image. C'est fou le nombre de fois où je me suis extasié devant la maîtrise de Jordan Peele. Sa caméra est à la fois frontale, fluide, suggérée et brutale. Il arrive à nous cramponner à notre siège pendant près de deux heures non-stop. Personnellement, il m'en faut peu mais d'ordinaire, je n'aime pas les films d'horreur. Du moins, je n'aimais pas car c'est véritablement en train de changer ! Et c'est sûrement dû aux réalisateurs comme Jordan Peele qui détournent les codes du genre et élargissent les scénarios souvent trop faibles et légers pour en faire de véritables oeuvres de science-fiction. Il n'y a finalement ici très peu de Jumpscare inutiles et d'hémoglobine, tout repose sur l'ambiance tendue et viscérale qui se dégage de l'image. Cette étrangeté mêlée au réel m'a rappelé le sentiment que j'avais éprouvé lors du visionnage de It, l'adaptation du livre de Stephen Kings, sorti en 2017, dont j'avais également fait la critique. La direction artistique est également très soignée et étonne par son choix de couleurs assumées et significatives (le rouge pour les tenues).


Dès le début du film, tout nous prépare à affronter notre double, qu'il soit maléfique ou pas d'ailleurs. L'utilisation des reflets, omniprésent, anticipe savamment l'élément perturbateur. Oups, j'ai oublié de prévenir... Nous sommes dans la partie scénario !! J'aime lorsque l'on ressort d'un film dubitatif, dans le sens où l'on continue à réfléchir après le générique. C'est le cas ici et cela est la preuve d'un scénario intelligent et prenant. Jordan Peele prend le temps de présenter et développer ses personnages pour que le spectateur puisse s'attacher à eux de manière spontanée et pas poussive comme dans la plupart des films du genre. L'utilisation des clichés est ici détournée et ré-orientée pour créer des personnalités plus profondes, humaines et tiraillées. Pour ce dernier mot, je pense bien sûr au personnage principal interprété par Lupita Nyong'o, extraordinaire. J'ai adoré la construction narrative du long-métrage, mettant tout de suite l'accent sur elle. Toute la famille dégage de la sympathie car on se reconnait dans chacun d'entre eux, d'une façon étrangement naturelle. La réflexion sur notre part d'ombre est constamment interrogée mais aussi sur le masque que l'on porte en société amenant un questionnement sur l'identité et sur notre "vrai" moi. Ce sujet occupe une place particulière dans mon coeur et son traitement me ravit tant le réalisateur prend le temps de diluer les informations pour que les secrets ne soient dévoilés que petit à petit. L'intelligence du scénario ressort également dans ses préparations paiements qui vont servir à l'intrigue mais bien plus tard dans le film (jouet camion, objet magique du petit garçon, dialogue sur la conduite de la grande soeur, le bateau du père). Tous ces éléments possèdent une vraie importance et rappelle que rien n'est lié au hasard dans l'écriture d'un film.


Doté d'un rythme haletant, Us questionne sans arrêt l'image que les personnages ont d'eux même et dans le même temps, renvoie à notre vécu. Je me suis étonné à me remémorer des moments de ma vie où je ne me suis pas reconnu et où je faisais semblant, semblant d'être un autre. Peut être était-ce alors mon double maléfique, celui que l'on cache mais qui demeure dans chacun d'entre nous. Comme vous l'avez compris, je me suis pris au jeu que développe le film et j'y ai joué de la meilleure des manières, en tant que spectateur. Cela peut nous échapper mais Us parle aussi de cette place que l'on détient, ce pouvoir d'être tranquille, assis au fond de notre fauteuil, à regarder une image de nous-même disséquée à travers des personnages et situations. D'ailleurs, le début du film établit cette réflexion sous-jacente avec ce plan de la petite fille regardant la télévision, où l'on discerne légèrement son reflet dans l'écran. On pourrait approfondir ce sujet et continuait à en discuter pendant des heures tellement le long-métrage est riche à ce niveau-là. Il n'épargne pas son spectateur mais ne le prend pas pour un idiot. Il divertit tout en faisant réfléchir et juste pour ça, je dis bravo.


Néanmoins, le cinéma de Jordan Peele, mêlant thriller, science-fiction et horreur, peut en rebuter certains, spécifiquement dans la dernière partie du film où il faut accepter l'invraisemblable. Ce mélange entre réel et fiction est une cuillère qui picote mais une fois qu'on l'a avalé, on trouve le goût bien meilleur. Il se peut donc qu'un certain public soit perdu et assez confus de la tournure du scénario. Mais ce n'est que pour mieux nous émerveiller devant une somptueuse scène en montage parallèle mêlant une danse à une confrontation mortel, débordant de poésie et d'une puissance insoupçonnée. Dans quelques années, je n'ose imaginer ce que pourra procurer le cinéma de Jordan Peele. Ici, ce n'est qu'un avant-goût et c'en est déjà délicieux ! J'avoue m'être fait emporté, dans un autre monde, de l'autre côté du miroir sûrement, dans un lieu familier où, moi aussi, j'affrontais mon double. Enfin, la fin du film sonne le glas et dépose la cerise sur le gâteau avec un twist étonnamment imprévisible et qui passe comme l'effet d'une bombe. Notre cerveau rembobine et les morceaux se recollent. Tout est remis en cause, notre attachement aux personnages, notre perception de leurs motivations. Depuis le début, nous en avions une mauvaise image. On nous avait prévenu pourtant, avec ses trop nombreux reflets et écrans. C'est tout simplement du génie.


Le non-manichéisme de la vie est représenté d'une manière on ne peut plus parfaite. L'héroïne, celle que l'on aimait depuis le début et que l'on soutenait, est en fait la part d'ombre. Alors, finalement, comment différencier l'une de l'autre ? C'est justement cela, il n'y a pas de noir ou blanc. Ici, un même objectif: vivre en haut, en contact avec les autres, en cassant sa cage pour embrasser la liberté permettant de se construire soi-même.


A souligner également, l'humour. Une des grandes caractéristiques de ce réalisateur, c'est qu'il joue sur cette frontière entre le rire (souvent nerveux) et la peur. La limite séparant les deux est très faible. Cet équilibre est très bien géré dans le film, même s'il peut dédramatiser l'action, mais cela arrive très rarement. En même temps, si les évènements du film arrivaient dans nos vies, beaucoup trouverait refuge dans l'ironique et le cynisme pour évacuer le stress et l'angoisse (c'est le cas ici pour le père). Mais c'est vrai que cela frôle parfois la parodie, peut être est-ce voulu mais en tout cas, c'est assez particulier comme ton. Quant aux musiques, je suis agréablement surpris, j'aime beaucoup les différentes mélodies du film, soulignant toutes l'étrangeté et l'ambiguïté de l'intrigue et du message porté à l'écran.


Vous allez me dire que j'idolâtre trop le film, et je vous répondrais que je le prend justement à sa juste valeur. Il est toutefois vrai qu'il y a quelques éléments qui m'ont gênés. Tout d'abord cette manie qui se répète de montrer les personnages "blancs" comme superficiels ou inférieurs, je pense que c'est un peu une vengeance personnelle du réalisateur sur les problèmes qu'il a dû avoir dans sa vie. Mais dans Get Out, c'était justifié par son message politique et social, essence même de l'intrigue. Ici, cela apparait d'abord comme amusant mais finit par devenir bizarre et assez dérangeant quand on y pense. En même temps, il inverse les clichés de l'horreur et je trouve cela assez drôle. En général, ce sont toujours les noirs qui meurent en premier. Sacré Jordan Peele, il se joue de nous ^^
Par contre, on ne situe pas bien l'ampleur de l'évènement perturbateur. On ne sait pas si c'est généralisé ou si cela touche qu'une partie du monde, étant donné que le réalisateur se concentre que sur une famille, donc un point de vue intimiste. Les enjeux n'auraient été que plus grands. De même que la question de ces doubles qui restent un peu en suspens. Il manque donc quelques réponses aux nombreuses questions que pose le scénario mais je suis vraiment en train de chipoter. J'avoue, j'ai du mal à trouver des défauts car c'est ce que l'on peut faire de mieux en terme de film de genre aujourd'hui. On en oublierait presque les quelques facilités scénaristiques qui permettent de faire avancer l'intrigue comme certaines réactions un peu trop "warriors" des personnages mais cela reste obligatoire dans certains cas.


Ainsi, je ressors du film avec une banane à la place de la bouche, mes pensées se bousculent encore et élaborent des théories reliant les différents évènements. Lorsque des images me trottent autant dans la tête, c'est généralement bon signe. Us s'inscrit désormais dans le haut du classement des meilleurs films de l'année 2019. Les acteurs sont tous exceptionnelles et offrent des interprétations qui méritent d'être acclamées. Après, c'est vrai que les voix VF des doubles, je trouve ça un peu too much mais bon, c'est ma punition pour ne pas avoir attendu la version originale. Sinon, que dire ? Jordan Peele est véritablement un réalisateur à suivre dans les prochaines années tant ses deux oeuvres restent singulières autant dans leur intrigue que dans le traitement qui y est fait de certaines thèmes vus et revus. Il possède également un évident sens de la mise en scène et du spectacle, qu'il combine à une réflexion poussée sur notre moi profond pour Us et sur le racisme dans Get Out. Je m'aperçois désormais d'un détail, je deviens fan de son travail. Une sensibilité frontale se dégage de ses oeuvres, c'est à la fois beau et percutant. Voilà, c'est dit... Il était temps que j'enlève mon masque, je ne pouvais plus cacher mon enthousiasme plus longtemps.


PS: Sinon, je vous avertis, la tenue rouge avec les ciseaux, ça va vite devenir culte et vous en verrez bientôt à Halloween. J'en frémisse déjà d'impatience ! Ou serait-ce des frissons ?


Note = 7,5/10

Sinar1107
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le 20 mars 2019

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