Dans une Amérique qui torture et abat sommairement les personnes noires, dans l'Amérique de Ferguson qui n'aurait pas été indifférent à l'oeuvre de Basquiat, un peu partout sur la Terre, l'on crie son désespoir (ou espoir pour les plus optimistes) d'être entendu par son prochain, par son frère ou sa soeur, son alter ego, pourtant sous le même ciel. Il y a dans Us de Jordan Peele quelque chose de profondément politique sur le traitement de la question raciale et de la pauvreté qui me pousse à écrire une petite homélie.


Jérémie 11 verset 11 dit : "C'est pourquoi ainsi parle l'Eternel: Voici, je vais faire venir sur eux des malheurs Dont ils ne pourront se délivrer. Ils crieront vers moi, Et je ne les écouterai pas." Jérémie rapporte la parole de l'Eternel dans les rues de Jérusalem et parmi les hommes de Juda pour que ceux-ci se souviennent de l'alliance conclu par leurs aïeux, une alliance qui maintenait la concorde malgré les iniquités qui les divisaient. Dieu mettait en garde Jérémie que si les hommes ne respectait pas cette alliance, hé ben ça va bien être la merde pour eux.


Des fois, je me dis que je suis plus chrétien que les chrétiens. Sérieux, vous ne vous êtes jamais dit que votre liberté de blanc ou de français, elle a peut-être été volée en marchant sur la gueule de quelqu'un d'autre ? Je ne dis pas qu'il faut penser comme ça, car entre moi et mon prochain, il y a le capitaliste, mais quand même cette liberté dont nous jouissons rien qu'en allant aux chiottes pour faire défiler son fil d'actu avant d'activer la chasse d'eau, moi ça m'a toujours posé question. Qu'importe cette réflexion sur de prétendues racines dont certains politiciens se gargarisent. Ici, ce qui est intéressant, c'est que Jordan Peele ait choisi de faire venir sur Terre - à l'égal de n'importe quel zombie movie - des monstres doublons, des ombres que chacun possède. Et pour faire un bon monstre, il faut deux trois éléments présents dans le film - chose qui n'est pas sans rappeller mes précédentes réflexions dans Holy Motors et dans La Fille de Nulle Part :


1° une proximité personnelle afin de jouer sur le registre de l'empathie, du miroir chaud ou froid (l'absence d'empathie est aussi très payante) ;


2° la légitimité de la barbarie : le monstre est d'autant plus monstrueux que son action est parfaitement compréhensible à défaut d'être parfaitement louable ;


3° l'hypocrisie de la victime qui ne se reconnaît jamais en tant que partie prenante dans ce rapport de haine. Ce T-shirt de Hands across America de 1986, accroché au mur d'un sous-sol fantastique en guise de totem, rappelle que sporadiquement les humains peuvent s'organiser et redistribuer certains dons à des associations locales de luttes contre la précarité et la pauvreté. On est bien loin aujourd'hui de ce temps où quand on entendait le nombre de morts dans les rues, on se mobilisait massivement. Il est loin aussi le temps du petit Aylan, mort, face contre le sable sur cette plage maudite européenne. Ce T-shirt, il représente beaucoup de choses dans ce film ; il représente tout l'aval et le poids que les Tethered (ou les Reliés) ont sur la vie de l'humanité.


On ne peut qu'apprécier la clarté de cet auteur concernant des enjeux simples et efficaces, multipliés par la double lecture politique. A l'égal de Zombie de Romero (1), Peele réitère ce message du fléau qui s'abat sur la culpabilité collective, tout ça parce que nous n'écoutons pas nos ombres. Bien évidemment, dans ce message comme dans l'autre, il manque l'élément essentiel que nous ne sommes pas tous des exploiteurs. Je veux dire que le fléau qui touche cette famille nucléaire qui vit de bonheurs, de jeux et de libertés, n'est pas juste. Pour certains essentialistes qui ont honte de l'humanité, ça leur parlera. Mais cette vie heureuse et familiale est sans doute le résultat profitable d'une longue mise en conformités sociales et économiques, voire de sacrifices, dont nous savons tous par qui ces obstacles sont décidés et instrumentalisés. Ce serait sympa de ne jamais l'oublier dans l'entremise de la haine car, de fait, c'est un long chemin pour se le dire à soi-même mais une fois prononcé, cela est évident jusqu'à s'en brosser quotidiennement les dents : les humains ne sont pas tous frères et soeurs ; s'il existe des antagonismes dans chaque pays, il faut bien sûr lutter contre mais il faut savoir s'organiser et en renverser la cause. Sinon, c'est vraiment que le cocon de l'hypocrisie nous sied à merveille et qu'il nous plaît, apartisans et dépolitisés, de nous vautrer dans un stade larvaire.


(1) Je pense à d'autres références si vous voulez continuer la séance : Funny Games et/ou Caché. Je pense aussi au fantastique et récent Sorry to bother you que je trouve sous distribué et sous-vendu.

Andy-Capet
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le 24 mars 2019

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