Nombreux sont ceux qui appellent de leurs voeux une relève du grand cinéma d'horreur américain. Tout aussi nombreux sont ceux qui rêvent de l'avènement d'un nouveau grand nom du cinéma afro-américain. Jordan Peele était le candidat rêvé à ce double titre, une sorte de John Carpenter du cinéma indépendant noir américain. Dommage que ce deuxième opus fasse provisoirement renoncer au beau rêve. Croulant sous les références (péché originel mais pas original d'une certaine tendance, la plus pénible, du nouveau ciné indé - voyez l'abominable "Under the Silver Lake"), Peele propose de nous conter les mésaventures d'une famille (ou plutôt de deux) en villégiature dans leur villa au bord du lac, dont la quiétude est troublée par des visiteurs les soumettant à une torture d'abord morale puis physique. Ces "Funny Games" au bord d'une baie sanglante ne sont pas non plus sans rappeler la vogue du slasher carnavalesque des années 80, avec prologue traumatique au bord de la plage (le gamin s'appelle Jason) et retour de la violence refoulée dont la clé est à chercher dans le cauchemar collectif américain. J'aimerais réellement qu'on m'explique ce qui est nouveau dans ce plat réchauffé, si ce n'est peut-être l'influence particulièrement néfaste d'un symbolisme lourdingue de tenues vestimentaires et de postures hiératiques qui fleurent bon leurs séries télévisées du moment (hello "The Handmaid's Tale", allô "The Leftovers") même si l'insistante couleur rouge doit sans doute beaucoup à sa généalogie chez un certain M. Night Shyamalan qui sut l'imposer dans une série de films à twist qui continuent de faire date, le pesant en ennuyeux pensum de Peele ne leur arrivant pas à la cheville. L'ennui s'installe vite, sauf aux rares moments où une hilarité incongrue est créée par des répliques involontairement bouffonnes qui dévoilent le ridicule de l'entreprise. Peele nous refait le coup d'un personnage qui comprend la gravité de la situation avec trois trains de retard, ce décalage comique ayant tôt fait d'épuiser ses ressources pour plonger le spectateur dans la perplexité. Quant au micro-twist final, les habitués de films d'horreur y reconnaîtront la marque du film de genre: tout comme dans "Carrie" ou dans "Le Bal des vampires", il faut signaler l'échec à circonscrire les forces du "Mal", si tant est que les doubles maléfiques ou inquiétants surgis du reflet (lire: de l'inconscient collectif / de la culpabilité du Rêve Américain, ce genre de billevesées) incarnent le Mal, ce qui n'est pas certain, puisqu'en bonne logique carnavalesque les polarités s'inversent. D'où, il faut bien le constater, l'effet pétard mouillé de ce renversement final, qui désamorce ce que le film pouvait comporter de potentiel dérangeant ou subversif, c'est-à-dire pas grand-chose.

Jean-François4
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le 25 mars 2019

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