Un plan. Un plan pour revivre le massacre qui a frappé la Norvège et que le monde n'a pas oublié, bien heureusement. L'expérience glace le sang, implique le spectateur avec une prouesse technique impressionnante. Sur l'île d'Utoya, en Norvège, des jeunes de l'AUF (Ligue des jeunes travaillistes) du Parti travailliste norvégien, se sont regroupés dans un camp en 2011. Juste après l'explosion à Oslo, l'homme commanditaire de cet attentat, Anders Breivik, s'est fait passer pour un policier pour atteindre cette île et tuer 69 personnes et en blesser 33.


Le rythme que déploie le film se conçoit comme un ascenseur émotionnel. Comme une parenthèse inquiétante, le tout début du film nous présente le camp et quelques uns de ses membres: juste le temps qu'on apprenne à les connaître un peu mieux, en tout cas c'est le cas de Kaja, celle qu'on va suivre tout le long de ce plan séquence, véritable fusion de plusieurs personnes qui ont réellement vécu l'attentat et que le réalisateur a rencontré. Aussi courageuse qu'humaine, le long-métrage parvient à travailler efficacement sur ses réactions pour ne pas en faire un archétype hollywoodien, malgré le choix conventionnel du scénario du personnage de sa soeur, qu'elle doit sauver. On croise dans son combat pour survivre plusieurs portraits marquants qui nous mettent face à un questionnement assez existentiel dont la réponse nous est propre; Quelle attitude aurions nous à leur place ? On se retrouve alors par exemple face à des dialogues improbables où un étonnant apprenti dragueur moitié candide moitié "looser" selon ses dires, questionne Kaja sur ses "10 choses à faire avant de mourir"; cet échange illustre la maladresse touchante et la fragilité bienveillante au travers duquel l'être humain peut s'accrocher, voyant le jugement dernier proche. Anders Breivik , presque absent à l'image, est ici l'incarnation fantomatique, du mal grandissant en Europe, et partout dans le monde: la menace n'a pas forcément de nom mais doit être identifié aujourd'hui, celle du fascisme, Notamment par ce choix là, Utoya, 22 juillet est une oeuvre engagée utile.


Le refus (pour ainsi dire, malgré le reportage du début) du montage peut s'expliquer ici sur le souhait du réalisateur de proposer un regard le plus respectueux possible des victimes: faire des ellipses, même minimes, dans le "récit", ce serait déjà presque un choix qui signifierait qu'il y a des moments plus justifiés que d'autres à montrer, des expériences plus importantes que d'autre. Ce film, c'est une tentative de faire ressentir au spectateur l'élan d'une jeunesse qui est morte pour ses idées. Le problème avec ce genre de projet, c'est que la limite est souvent faible entre piqure de rappel, hommage et sensationnalisme dérangeant voir mal placé. Le film n'évite en effet pas malheureusement, à mon sens, des écarts assez bancals, notamment avec cette caméra "personnage" ( elle développe des mouvements d'une caméra subjective même si elle ne représente pas un personnage à part entière dans la diégèse) qui use d'artifices un peu trop pompeux faisant penser à des techniques de mauvais films d'horreur. Je pense aussi à la chanson de Kaja, qui même si elle demeure émouvante, est à la limite du tire larme hollywoodien assez troublant dans le mauvais sens du terme: on ne sait parfois plus trop comment se positionner sur ce film durant son visionnage ( et possiblement après).


Mais à la fin, lorsque ce plan se termine sur une sortie de secours, je suis resté sur un souvenir intarissable de ce parcours humain, de l'émotion face à l'horreur et peut être se rappellera t-on que derrière les annonces des médias, malheureusement fréquentes d'attentats, de l'amer habitude de la violence, il y a des portraits, ceux que l'on voit dans Utoya, 22 juillet. On est certes loin de la subtilité et l'intemporalité d'Elephant de Gus Van Sant,mais cela ajouté à la montée du fascisme rappelé sur un carton à la fin du film, on se dit, peut être, que la piqure de rappel que ce film apporte, n'est pas si placebo que son sensationnalisme parfois maladroit ne le laisse entendre.

sickk_boy
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le 23 déc. 2018

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