Vaiana, la légende


Reprocher au dernier film de Disney son manque d'originalité, c'est probablement méconnaître tant ce qu'est un enfant que ce qu'est un conte initiatique.


Entendons-nous: je suis le premier (comme vous, mettons donc premier ex aequo) à m'insurger contre tout raisonnement du type « Ouais, mais c'est pour les enfants, DONC c'est pas grave s'il y a des incohérences/nul besoin d'un scénario exigeant/on peut écrire n'importe quoi! » (La Reine des Neiges, par exemple, était une catastrophe à cet égard.) Un bon film pour enfant, c'est, ce doit toujours être un bon récit avant tout.


Et il est vrai que le scénario de Vaiana n'est pas sans faiblesses. Toutefois, celles-ci ne résident à mon sens pas dans son caractère prévisible. Elles sont plutôt dues aux fioritures inutiles ou aux rencontres manquées (j'y reviendrai, mais j'ai une pensée forte pour les Kakamora - vous savez, ces pirates habilement grimés en noix de coco - et Tamatoa - le crabe bling-bling).


En fait, de Charles Perrault à Roald Dahl, les raconteurs d'histoire pour enfants l'ont bien compris: un conte doit s'articuler autour d'archétypes, fournir à son auditeur une structure narrative connue, des rôles qui lui permettent de nommer/affronter/gérer ses peurs, de s'identifier aux personnages avant de finalement s'en détacher. Par ailleurs, on ne saurait apprécier vraiment Garulfo ou Le Trône de Fer si l'on ne s'est d'abord familiarisé avec les codes du genre: sans leur connaissance, la satire tombe à plat; sans leur habitude, la violation de leur routine passe inaperçue.


Ainsi, que Disney ancre Vaiana dans un récit initiatique classique faisant la part belle à un personnage féminin n'est ni surprenant, ni dérangeant, si on considère le public-cible. Mieux: c'est probablement salutaire. En effet, mon fils de six ans a besoin de ce type d'histoire et le fait que leur fonctionnement me soit familier n'est pas une raison suffisante pour exiger autre chose: ce qui est (péniblement?) prévisible pour moi ne l'est pas (déjà) pour lui. Et si Disney se fait des nouilles encore au passage, pourquoi s'en étonner? Cette compagnie n'a pas une vocation philanthropique, si?


Qu'elle fournisse un bon récit et elle aura fait son travail. Et force est d'admettre qu'elle s'en tire plutôt bien, cette fois-ci. Elle nous présente une jeune élue qui se heurte aux tabous de sa société, perce le mystère du passé de ses anciens, accepte ses responsabilités, surmonte ses peurs et se lance à la rencontre du vaste monde pour sauver les siens, apprivoisant au passage un type peu recommandable, pour finir par accéder à une plus grande compréhension de la nature, le tout avec un sidekick rigolo. Oui, oui, on s'inscrit dans une loooooongue tradition: sous un emballage polynésien (polynésien? on y reviendra) on raconte une histoire cent fois racontée. Comme dit plus haut: ce n'est pas un problème en soi au niveau narratif.


Si la structure du récit est bonne, certains épisodes sont sans doutes dispensables. La rencontre des pirates n'apporte rien en soi et le crabe géant est un adversaire peu convaincant, compte tenu du cadre imposant qui lui est octroyé. Il semblerait que les scénaristes s'en soient d'ailleurs doutés, eux qui nous demandent si nous avons (au moins) aimé la chanson. D'autre part, le comique de répétition avec Heihei (le coq le plus suicidaire au monde) est sans doute un peu appuyé. Enfin, les chansons sont calibrées pour s'incruster dans les crânes... de manière peut-être un peu trop évidente.


Même si pour un public de mouflets, tout cela fonctionne à la perfection, il est probablement dommage de s'en contenter et de ne pas pousser un (petit) peu plus loin l'exigence. Ne pas uniquement vouloir plaire en délivrant une formule maintes fois éprouvée, mais prendre un peu plus de risque (ça s'est vu) en faisant vraiment honneur à son sujet aurait fait de ce bon divertissement pour enfants un chef-d’œuvre.


Vaiana, le bout du monde?


Voilà pour l'intrigue proprement dite, à laquelle je n'ai finalement pas grand chose à reprocher. Mais son cadre, lui, est à mon sens nettement plus problématique.


Car il y a fort à redire à la Polynésie qui nous est présentée dans le film, malgré les quotas de noix de cocos, d'eaux turquoises et de noms exotiques "qui sonnent vrai".


Peu connaisseur du sujet, mais piqué de mythologie et d'anthropologie de comptoir, j'ai d'abord été séduit par ce qui nous est présenté dans Pour les hommes en faisant instantanément un parallèle entre Maui et Prométhée. Ma curiosité attisée, j'ai voulu en savoir un peu plus sur le bonhomme et, de fil en aiguille, j'ai passablement déchanté (haha!).


Tēvita O. Kaʻili, un anthropologue originaire de Tongatapu, a rédigé deux articles intéressants sur le personnage de Maui et son traitement dans le film. Sans entrer dans les détails, on pourrait s'arrêter sur le fait que le caractère hâbleur du personnage de Disney cadre assez mal avec son modèle mythologique, Maui étant initialement le dernier-né d'une famille (et donc, quelqu'un de statut social négligeable). La plupart de ses exploits peuvent d'ailleurs être lus comme de représentations poétiques de combats sociaux (une résistance du faible face à l'oppression des forts). Par ailleurs, Maui est ordinairement indissociable d'une autre figure divine, Hina, selon les traditions sa sœur aînée ou sa mère, dont il tire le mana qui lui permet de réaliser les hauts faits décrits dans Pour les hommes. L'omission de cet alter ego dans le récit de Disney est assez dommageable, s'ils cherchent à faire passer leurs personnages féminins du statut de Blanche-Neige à celui de Vaiana.


Ceci dit, tout n'est pas en toc dans le film. Le passé tabou de la tribu peut faire penser à la longue pause entre la colonisation de l'Ouest et de l'Est des îles polynésiennes; l'intervention de Tala, la grand-mère marginale, après sa réincarnation en raie manta fait référence à la croyance à l'ʻaumākua, l'ancêtre divinisé. Certaines rencontres, en revanches, sont manquées: pourquoi donner au gros crabe kleptomane le nom d'une dynastie polynésienne? Pourquoi rabaisser les Kakamora, esprits lilliputiens des Îles Salomon, voleurs de feu, fricasseurs d'oppossums, amateurs de pleine lune et de pluie, à des noix de coco pirates madmaxées? Le recours au folklore polynésien, on le voit, est loin d'être irréprochable!


Une chose en entraînant une autre, je jette du coup à présent un regard dont la divergence n'a rien à envier à celui de Heihei sur le cairn dressé au sommet de l'île natale de Vaiana. Narrativement, c'est très bon. Culturellement, c'est une grosse maladresse, puisque cette pratique est apparemment perçue comme un sacrilège dans certaines cultures polynésiennes.


Féroce adversaire du relativisme absolu, je suis prêt à croire que toutes les sociétés partagent des mythes fondateurs communs, voire universels dans leurs aspirations. En revanche, la manière de penser le monde et de le raconter divergent forcément. S'approprier les mythes d'une autre culture est donc un exercice délicat. Il faut reconnaître les enjeux et les spécificités de l'autre plutôt que d'y plaquer les nôtres, sous peine de passer de ça à ça. Le carton-pâte, en soi, ce n'est pas grave, si l'on sait qu'on a affaire à du carton-pâte. Mon fils de six ans ne le sait pas. Et moi, pas toujours. Et ça, c'est bien dommage.

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