On pourra dire ce qu'on veut sur Luc Besson, il est indéniable que peu de réalisateurs ont autant bousculé le paysage cinématographique français que lui, en bien comme en mal. Il est toujours vivant, alors plutôt que de le haïr par principe en maudissant son coma artistique survenu à peu près en même temps que celui de Tim Burton (le début des années 2000) et sa grosse pompe à fric Europacorp (qui ne l'oublions pas finance directement ou indirectement bon nombres de production d'auteurs, à commencer par deux films de Tommy Lee Jones) autant jeter un coup d’œil à ce qu'il peut encore nous proposer. Affirmer cela est un peu hypocrite de ma part, sachant que je serais incapable de faire cet effort pour Tim Burton, mais il faut dire que le bon vieux Luc a su plutôt bien me le faire désirer, son "Valérian". Au-delà du fait qu'il est le plus gros budget de l'histoire du cinéma français et que la législation sur les aides du CNC s'est assouplie pour une plus grande liberté d'expression grâce à ce film et son réalisateur, il est le projet que Besson tient le plus à cœur et mijote depuis le début de sa carrière. Sans compter que les bandes-annonces, rappelant la virtuosité du "Cinquième Elément", mettaient l'eau à la bouche au moins sur l'aspect visuel du film et sur le potentiel explosif du couple Valérian/Laureline.


Ceci dit, il ne fallait pas non plus s'attendre à retrouver le Besson des années 90. Celui d'aujourd'hui est toujours aussi enjoué mais a sérieusement perdu de son originalité et de sa maîtrise. Il faut donc partir avec une certaine indulgence pour rentrer dans le jeu, mais force est de constater qu'il en vaut plutôt la chandelle. Tout se joue sur l'équilibre entre l'aspect divertissant de l'écriture, qui allie une légèreté humoristique à des situations au fort potentiel ludique, et les enjeux narratifs au ton plus dramatique. De tous points de vue, la balance est précaire jusqu'à sacrifier une partie de la cohérence du film. Le couple de personnages fonctionne très bien lors des scènes d'actions, leur ajoutant une candeur salvatrice et un rythme soutenu, mais au vu de leur relation au début du film, les entendre parler de mariage au bout de quinze minutes de métrage semble peu crédible. Les amoureux de la bande dessinée s'insurgent contre le choix d'acteurs très jeunes et peu expérimentés, mais c'est pourtant un partis-pris compréhensible de la part de Besson, qui a toujours joué avec l'immaturité de ses personnages qui cachent leurs sentiments pour mieux les dévoiler et ressortir grandis de leurs aventures. C'est évidemment le cas ici, et cela permet de nouer la relation entre Valérian et Laureline d'une bien belle manière en dernière partie, accordant les amants sur leurs choix moraux, et donc sentimentaux. L'émotion transmise est certes peu subtile, mais rend le duo véritablement attachant, ce qui est plutôt commode pour d'éventuelles suites.


Quant à l'écriture des rebondissements narratifs, elle n'est pas non plus exempt de défauts. Tout le passage avec Rihanna par exemple, s'il n'est pas désagréable en soi, parasite grandement le déroulement du film qui prend ainsi des détours artificiels et casse un rythme pourtant bien dosé à de nombreux passages grâce à un montage ciselé. Au vu du nombre d'années qu'à passé Besson sur le scénario, cela donne l'impression qu'il n'a pas su se défaire d'un trop-plein d'idées, rallongeant le script en oubliant le postulat narratif de départ qui place les personnages dans l'urgence. C'est un peu comme si dans Die Hard 3 Bruce Willis et Samuel L. Jackson prenaient le temps d'acheter une glace, alors qu'un dangereux terroriste a placé des bombes un peu partout dans New York. Mais la densité narrative du film fait aussi sa force, proposant notamment un prologue jouissif. L'idée même d'un supermarché virtuel en plein désert est simplement génial, et la séquence l'exploite en long, en large et en travers avec pertinence. C'est grâce à ces quelques passages qu'on retrouve quelque peu l'ardeur créative de Besson, sa volonté loin d'être régressive de circonscrire un espace de jeu et d'y décliner des idées narratives à foison avec fraîcheur et spontanéité.


Le bonhomme n'avait pas fait autant d'étincelle depuis le "Cinquième Élément", c'est certain. Mais il ne faut pas se voiler pas la face : ce film est aussi l'aveu du cinéaste qu'il ne peut plus surprendre et encore moins retrouver la flamme des années 90. Car si ce "Valérian" propose une diversité visuelle de chaque instant, il met en place un univers générique qui ne trouve pas de singularité. Du peuple naturaliste au centre du film rappelant beaucoup la bande dessinée "Aquablue" (tout comme "Avatar", d'ailleurs) aux costumes nettement moins exubérant qu'on aurait pu s'attendre, il cède en partie à une certaine standardisation pour s'exporter à l'étranger. La part de rêve qu'il laisse éparse au sein du métrage n'en est pas moins précieuse, preuve que Besson est bel et bien un faiseur unique en son genre.

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le 18 sept. 2017

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Marius Jouanny

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