L’évincement du personnage de Laureline du titre de Valérian et la Cité des Milles Planètes est symptomatique de la place réservée aux femmes dans les blockbusters. Bien que les aventures imaginées par Pierre Christin et Jean-Claude Mezières ne s’intitulent Valérian et Laureline qu’à partir de la célébration du 40e anniversaire de la série en 2007, le choix de Luc Besson impose à Laureline un rôle de subalterne. Si le personnage de Cara Delevingne tente d’apparaître comme une femme forte (puisqu’elle utilise ses poings) et moderne (puisqu’elle répond aux hommes), elle reste la marionnette de Valérien (Dane DeHaan) et par extension de Besson. Comme une poupée – qu’on habille et déshabille littéralement à sa guise dans le film –, elle ne traverse (ou plutôt défile) l’espace que pour suivre Valérian qu’il soit maître de ses actions (« je suis un soldat ») ou de son courage (qu’il le met en danger). Par opposition, elle ne sera pas victime de son courage, mais de sa naïveté, piégée par un appât en forme de papillon, pour porter l’éternel costume de la belle femme à sauver des griffes des monstres.


La psychologie de Laureline est entachée par un processus de stéréotypisation qui la rend interchangeable avec toutes les autres femmes, notamment celles du tableau de chasse qu’arbore le personnage de Valérian au début du film. Cette « playlist » établit d’ailleurs, dans son traitement par Laureline et Valérian, une distinction entre une sexualité masculine prônant le plaisir charnel et une sexualité féminine restreinte par l’horizon marital. Le fil conducteur de Valérian repose sur la capacité d’une femme à changer un Don Juan en mari idéal (« celui qui effacera sa playlist pour moi »). Mais, l’apothéose de la vision dénaturante de la femme provient de la reconnaissance de la Laureline par son caractère hystérique. Alors que Valérian et Laureline tentent de joindre le QG depuis une capsule spatiale de notre époque, elle est reconnue par ses supérieurs uniquement par son manque de contenance. La vision de la femme qui se dégage de l’œuvre est d’autant plus douteuse que Luc Besson se sert du second degré – montrant ainsi qu’il en a lui-même conscience – pour cacher son sexisme.


Valérian est un long-métrage à paradoxe présentant à la surface des valeurs que son traitement scénaristique déconstruit. La seconde partie du titre, « la cité aux mille planètes », prédit une effervescence d’espèces chacune accompagnée de ses propres caractéristiques physiques et culturelles. Pourtant, l’œuvre se révèle humano-centrée tant dans son scénario que par ses codes de représentations. La séquence d’ouverture – censée présentée l’union des peuples de l’espace autour de la station spatiale internationale – amorce, par le geste de la poignée de main, l’anthropomorphisme qui aplanira les richesses d’un espace longuement fantasmé. Il suffit de se pencher sur l’apparence des « Pearls », chaînon manquant entre les Na’vi de James Cameron (Avatar, 2009) et l’homme, pour entériner le manque d’audace de l’univers de Valérian.


Ce modelage de l’Autre sur les codes humains est problématique quand il reproduit les schémas racistes de nos sociétés contemporaines. L’exotisme, même dans l’espace, s’inspire des sociétés arabes à l’instar du marché gigantesque et chaotique offrant une scène d’actions sur plusieurs dégrées de réalité visuellement maîtrisée. Ce rapprochement entre arabe et barbare s’intensifie, jusqu’au malaise, lorsque la musique (composée par Alexandre Desplat) emprunte des sonorités arabes pour accompagner le portrait d’une société – la no-go zone d’Alpha – dictatoriale, sanguinaire et arriérée. Cet humano-centrisme est d’autant plus navrant que Valérian et la Cité des Mille Planètes ne trouve un intérêt qu’à travers le seul personnage qui s’en écarte : Bubble (Rihanna, rafraîchissante), une extraterrestre strip-teaseuse pouvant changer d’apparences. À travers cette capacité, Luc Besson questionne l’identité dans un univers qui, sur le papier uniquement, voit ses moyens et ses formes de représentations décuplés.


Il faut dire que Valérian est une œuvre superficielle qui ne se focalise que sur le rendu technique de ses images. Luc Besson se ressaisit de ce sens du détail visuel qui avait fait son succès, public, dans Le Cinquième Élément (1997). L’œuvre fourmille de couleurs et de mouvements (et de ralentis) en oubliant le principal : une intrigue. Le réalisateur français peine à créer du sens sans doute trop consacré à offrir des effets spéciaux à la hauteur des rivaux américains – que le film cherche constamment à combattre -. Cette vision d’un cinéma strictement pour les yeux se synthétise autour d’une phrase prononcée par le personnage d’une touriste rapportant des souvenirs du marché galactique : « c’est de la décoration, sois civilisé ». Il est vrai que le cinéma de Besson a tout de la babiole, un objet sans valeur à consommer instantanément avant qu’il ne soit oublié.

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le 26 juil. 2017

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